ANALYSE – L’Amérique était à l’origine de la crise de 2008. Huit ans plus tard, ses banques dominent la finance comme jamais. L’Europe n’a pas encore pris conscience des enjeux de souveraineté que cela représente.
C’était il y a seulement huit ans, cela paraît déjà une éternité. Lehman Brothers essuyait la faillite la plus retentissante de l’histoire, le dollar vacillait, la finance américaine était à genoux et la Réserve fédérale ne savait plus où donner de la tête. Huit ans plus tard, le climat a bien changé. Le Dow Jones vole de records en records . La Fed est la première banque centrale à normaliser sa politique , ce qui provoque une nouvelle poussée de fièvre du dollar . Et les banques de Wall Street ont complètement repris l’ascendant sur la finance mondiale.
Les chiffres sont implacables. Dans la hiérarchie boursière, les Américains occupent les trois premières places grâce aux mastodontes JP Morgan, Wells Fargo et Bank of America, qui sont redevenus des machines à profit et pèsent chacun plus de 200 milliards de dollars. Seules quelques banques chinoises tentent de contester leur suprématie. La première européenne, BNP Paribas, n’est que 17ème. A elle seule, JP Morgan vaut autant que les six premières banques de la zone euro ! Les établissements américains n’ont jamais vraiment réussi à se faire une place sur le marché des particuliers de ce côté-ci de l’Atlantique. Mais ils ont la mainmise sur les activités de banque d’investissement, pour les grandes entreprises. JP, Goldman Sachs, Morgan Stanley, Citi et Bank of America trustent cinq des six premières places en Europe, leurs parts de marché n’ayant cessé de grimper ces dernières années.
Il y a quelque chose de paradoxal à voir l’Amérique dominer ainsi la planète finance, elle qui était pourtant à l’origine de la crise de 2008. Comment expliquer un tel tour de passe-passe ? Pourquoi une telle différence avec l’Europe, qui n’a pas fini de nettoyer son secteur bancaire ? Faut-il se résigner à ce « diktat américain sur la finance mondiale » dénoncé par certains banquiers ? Pour répondre à ces questions, il faut mesurer les puissants moteurs qui font tourner la finance américaine. Ils sont au nombre de trois : un pragmatisme à toute épreuve, une capacité sans égale à imposer ses vues en matière réglementaire et une arme imparable, la suprématie du dollar.
Le pragmatisme américain d’abord. Il était visible dès les premières heures de la crise. Conscientes de leur erreur initiale – avoir laissé tomber Lehman -, les autorités ont réagi rapidement. Un plan massif a été lancé pour renflouer les banques, et la Fed a tout de suite inondé les marchés de liquidités. Le secteur a été consolidé à marche forcée, les établissements les plus fragiles étant adossés à de plus gros acteurs. Grâce à la vigueur de leur marché intérieur, source de profits gigantesques, les nouveaux mastodontes de Wall Street n’ont pas mis longtemps à retrouver la forme. Et ce pragmatisme se prolonge encore maintenant avec l’administration Trump, qui a nommé un ancien de Goldman comme secrétaire au Trésor et a donné un seul mot d’ordre : « il faut laisser les banques faire leur travail » !
Les débats réglementaires, ensuite, pourraient encore creuser le différentiel Etats-Unis / Europe. De nouvelles passes d’armes ont lieu en ce moment au sein du comité de Bâle, chargé de fixer les prochaines règles de prudence. Le camp européen, mené par la France et l’Allemagne , craint qu’il ne s’achève par une pénalisation de ses établissements, avec des surcharges en fonds propres qui brideront leur développement et leur rentabilité. Les normes ne seraient pas moins dures pour les banques américaines. Mais comme, aux Etats-Unis, les banques jouent un rôle trois fois moins important dans le financement de l’économie, les contraintes pourraient avoir un effet beaucoup plus dépressif sur l’économie réelle en Europe. Encore une fois, l’Union européenne a du mal à présenter un front uni dans ces négociations d’apparence technique. Comme souvent, elle semble n’avoir pas pris conscience des enjeux de souveraineté que portent ces débats.
Enfin, le plus pur symbole de la puissance américaine, le dollar, a encore renforcé son influence ces dernières années. Certains lui promettaient l’enfer après la crise, la fin du « droit de seigneuriage » qui permet aux Etats-Unis de battre monnaie pour l’ensemble du monde. Il n’en a rien été. Le billet vert occupe toujours une place privilégiée sur les marchés internationaux que ni ni l’euro, ni le yuan chinois ne sont parvenus à remettre en cause. Il demeure la monnaie de réserve de référence. La plupart des matières premières sont libellées en dollars. Les transactions commerciales dans le monde se font encore majoritairement dans la devise américaine.
La force du dollar a déjà joué bien des tours aux banques européennes, et cela pourrait encore être le cas à l’avenir. Lorsque les fonds monétaires ont décidé de couper leurs financements en dollars en 2011, les établissements du continent sont passés près de la catastrophe et ont dû revoir complètement leurs bilans. C’est parce qu’elle avait effectué des transactions en dollars avec des pays placés sous embargo des Etats-Unis que BNP Paribas a été condamné à une sanction record de 9 milliards de dollars. Récemment, Peugeot a sollicité les banques françaises pour financer son développement en Iran. Trop risqué, lui ont répondu ses interlocuteurs, le pays vient à peine de sortir de l’embargo américain. Résultat : le constructeur français a dû se tourner vers une grande banque de Wall Street…
Guillaume Maujean
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