L’Europe entre la Chine et les Etats-Unis
OPINION. La réforme de l’OMC pourrait former la première étape d’une offre de médiation de l’UE dans le conflit commercial qui oppose les Etats-Unis et la Chine, écrit notre chroniqueur François Nordmann
Mme Ursula von der Leyen, présidente désignée de la Commission européenne, qui sera investie demain par le Parlement européen, a plaidé le 8 novembre dernier pour que l’Europe tende ses muscles et aille au-delà du soft power qui est sa marque dans les relations internationales. Parlant à Berlin à la veille de l’anniversaire de la chute du Mur, elle a notamment déclaré: «Nous sommes en mesure d’influencer les conditions sous lesquelles nous faisons du commerce avec la Chine – dont l’UE est la première partenaire – et l’amener à respecter les normes européennes.»
La question des relations avec Pékin sera l’un des tests de la nouvelle Commission et elle revêt une importance stratégique dans le contexte de la guerre commerciale entre les Etats-Unis et la Chine.
Ce qu’en dit Pascal Lamy
Idéalement, l’Europe devrait veiller à se tenir à équidistance entre les deux Etats en conflit et adopter une «neutralité concurrentielle». En outre, il est évident que les Etats-Unis sont l’épicentre de cette crise. Mais l’Europe n’en est pas moins directement concernée par l’enjeu et le déroulement de ce combat de titans. En effet, au-delà des postures rhétoriques, l’Europe et le Japon sont d’une certaine manière parties prenantes dans cette lutte, car ils partagent les valeurs fondamentales qui font agir les Etats-Unis, même s’il existe des désaccords profonds en matière économique et notamment à propos de la méthode musclée choisie par le président Trump à l’égard de la Chine.
Mais ce conflit n’est pas seulement le fruit de la violence éruptive qui caractérise l’occupant de la Maison-Blanche. Il a mis de longues années à mûrir et résulte autant de l’échec des Etats-Unis à obtenir que l’OMC rééquilibre les relations commerciales sino-américaines. La partie américaine n’est pas la seule à considérer que l’OMC n’est pas outillée pour régler le genre de différends qui opposent les Etats-Unis à la Chine. Les engagements pris par ce pays lors de son accession à l’OMC ne sont pas tenus, mais l’organisation manque de moyens pour les lui faire respecter. C’est ce qui explique au passage la raison pour laquelle les Etats-Unis s’en prennent au mécanisme de règlement des conflits de l’organisation et notamment à son organe d’appel.
On sait que les principaux griefs adressés à Pékin par Washington ont trait aux aides d’Etat dont bénéficie l’industrie chinoise – dont 40% sont en mains de l’Etat –, au transfert forcé de technologie, enfin à la concurrence déloyale dans le secteur de l’économie numérique. Pascal Lamy, ancien directeur général de l’OMC, s’est exprimé sur le sujet le week-end dernier à Genève, pour la première fois depuis qu’il a quitté ses fonctions il y a six ans. Evoquant les issues possibles au conflit, il considère que si les pressions bilatérales ne produisent pas de résultat, il faudra en revenir au multilatéralisme. Le recours à l’OMC implique au préalable une réforme de l’institution.
Rôle de l’UE
Il propose quatre pistes pour rénover l’OMC. L’organisation doit d’abord trouver le moyen de rééquilibrer les asymétries découlant de différents types de subventions qui faussent le commerce international. Elle doit ensuite s’attaquer au problème de l’environnement, qui dépasse celui du seul changement climatique, par exemple dans le cas du transport, générateur de CO2. Des ajustements sont nécessaires, et le marché capitaliste mondial peut supporter les augmentations de prix qui en découleraient. Troisième axe de la réforme: réguler les échanges de données – vaste programme.
Enfin, quatrième chapitre, la révision du régime de règlement des différends, tout en résistant au chantage américain en la matière. Mais des décisions difficiles sont requises – elles peuvent être de nature procédurale pour ce qui est de la nomination des juges. Et de lancer un défi à l’Union européenne: ne devrait-elle pas prendre la tête d’une coalition de pays intéressés – Canada, Australie, Nouvelle-Zélande, Suisse, etc. – et proposer sa médiation aux deux pays en lice? La réforme de l’OMC pourrait former la première étape de l’offre de médiation de l’UE.
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