Donald Trump continuera de faire tout le grabuge qui lui plaira d’ici l’assermentation de Joe Biden, le 20 janvier prochain à midi, et le vote symbolique des grands électeurs, le 14 décembre, lui sera sûrement l’occasion d’en remettre. L’homme a commis 550 tweets depuis le 3 novembre, dont les trois quarts contestaient le résultat de l’élection, alors que le pays aux prises avec la COVID-19 est en train de brûler. Pour avoir nié la décision des électeurs depuis la présidentielle, le feu vert très tardif qu’il a finalement donné lundi soir au processus de transition n’en revient pas moins, pour lui, à se plier à un mécanisme essentiel à la cohésion de cette vie démocratique qui lui répugne tant. Il ne reconnaît toujours pas sa défaite, tout en la reconnaissant.
Bref commentaire sur le contexte d’asservissement de l’État dans lequel cette transition s’amorce : Emily Murphy, directrice de l’Administration des services généraux (GSA, en anglais), chargée de gérer le transfert des pouvoirs, avait annoncé plus tôt dans la journée le déclenchement « en toute indépendance » d’un processus qui aurait pourtant dû commencer beaucoup plus tôt. Indépendance du reste contredite par Trump lui-même qui, prétendant agir dans « l’intérêt supérieur » des États-Unis, a plus tard indiqué avoir « recommandé » à la GSA de procéder. Signe parmi bien d’autres du haut degré de politisation — et de division — dont ce président est parvenu à infecter les institutions.
La procédure permet donc à l’équipe de M. Biden de se préparer à investir l’appareil gouvernemental — ses ministères et ses agences — et de bénéficier des budgets afférents à son installation. Mardi après-midi, la Maison-Blanche a fait un pas de plus en acceptant que M. Biden puisse avoir accès au crucial President’s Daily Brief, qui contient les informations et les analyses les plus sensibles en matière de renseignements. Le fait est que le partage de ce document avec son successeur est à la seule discrétion du président sortant, ce qui est proprement aberrant.
Il aura fallu, ces derniers jours, que l’ex-gouverneur du New Jersey, Chris Christie, fidèle d’entre les fidèles, qualifie de « futiles » les efforts de M. Trump pour renverser les résultats de la présidentielle ; que la grande finance et le monde des affaires le pressent de lâcher prise ; et que son avocat en chef Rudy Giuliani avoue publiquement avoir « exagéré un peu » quant à l’ampleur des « fraudes électorales » pour que le président accepte enfin de faire ses valises et aille prêcher ailleurs son credo national-populiste. La certification des résultats du Michigan, lundi, a enfoncé le clou.
Le soulagement des 80 millions d’Américains qui ont voté démocrate est forcément justifié, d’autant que le cabinet que M. Biden est en train de forger sous le sceau de la diversité et de la parité est en absolu contraste avec celui qui aura sévi sous Trump : Alejandro Mayorkas, premier Latino nommé secrétaire à la Sécurité intérieure ; Avril Haines, première femme à la direction du renseignement national ; Linda Thomas-Greenfield, diplomate afro-américaine nommée ambassadrice aux Nations unies… L’ancien secrétaire d’État John Kerry, signataire pour les États-Unis de l’Accord de Paris, aura le statut de ministre à titre d’envoyé spécial du président pour le climat. Au Trésor, on s’attend à voir nommée Janet Yellen, ancienne présidente de la Fed et spécialiste du droit du travail. Comme secrétaire d’État, M. Biden s’adjoint Tony Blinken, homme brillant, expert des relations transatlantiques — cependant cible de récriminations à gauche pour avoir encouragé M. Biden, alors sénateur, à voter en faveur de la guerre d’Irak en 2002.
Quel contraste, en effet, avec le gouvernement Trump ! Mais aussi quelle continuité, tant nombre de ces compétences sont passées par la présidence de Barack Obama, sinon même par celle de Bill Clinton. Certes, un président Biden ne serait pas allé jouer au golf comme l’a fait Trump pendant le sommet du G20, qui se tenait le week-end dernier à Riyad, mais qu’aurait fait et que fera concrètement ce champion du multilatéralisme retrouvé pour garantir à l’échelle internationale un accès équitable aux traitements et aux vaccins contre la COVID-19 ?
Si la victoire démocrate est enthousiasmante, on n’en oublie pas que le progressisme affiché par la présidence d’Obama a donné des résultats mitigés. Ni que M. Biden, relèvent ces temps-ci moult commentateurs dans l’examen de ce vieux routier de la politique américaine, a joué un rôle actif dans le glissement du Parti démocrate vers le centre droite à partir des années 1990, sous forme de parti pris pour le catéchisme du libre-échange et les préceptes de la déréglementation. Or, c’est ce virage démocrate, et pas que la dérive du Parti républicain, qui a rendu le trumpisme viable.
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