FIGAROVOX/TRIBUNE – Joe Biden vient officiellement de reconnaître le génocide arménien. Pour le président du Comité de Défense de la Cause Arménienne, Jules Boyadjian, cette reconnaissance fragilise la place de la Turquie au sein de l’OTAN.
Le président Joe Biden vient formellement de reconnaître le génocide arménien. 106 années après les massacres qui firent plus d’un million et demi de morts en Empire Ottoman, 20 ans après le passage en France d’une loi reconnaissant le génocide arménien, les États-Unis par la voix de leur Président s’engagent. S’il fallut attendre tant d’années pour qu’un Président américain qualifie les faits de génocide, ce n’est certainement pas en raison d’un déficit de connaissance historique ou d’un doute scientifique – un flot ininterrompu d’études publiées aux États-Unis ayant attesté de la réalité du génocide arménien – c’est en raison de la très forte dimension politique, diplomatique qu’accorde la Maison Blanche à ces gestes. Pour les États-Unis, la puissance symbolique de cette reconnaissance est moins mémorielle que géopolitique. Le message est sans ambiguïté au regard du contexte dans lequel il est délivré.
D’une part, c’est un message formulé aux alliés des Américains en Europe comme au Proche-Orient soulignant que la nature de la relation qui les lie à la Turquie devrait évoluer et que celle-ci ne fait plus partie du premier cercle des alliés stratégiques et privilégiés.
D’autre part, c’est une confirmation à l’adresse des Européens, que les États-Unis vont réinvestir les cénacles du multilatéralisme, ne vont pas laisser l’OTAN devenir « ce patient en état de mort cérébrale » dénoncé par le président Macron et se réinvestir dans les questions géopolitiques relevant du continent européen.
L’OTAN ne peut pas se satisfaire de compter en son sein un État génocidaire et négationniste qui répand la guerre à l’ensemble de ses frontières.
C’est enfin (et surtout !) un message adressé à la Turquie que sa place au sein de l’OTAN se trouve particulièrement fragilisée. L’OTAN est l’alliance militaire de promotion des valeurs démocratiques et libérales au service de la paix. Elle ne peut pas se satisfaire de compter en son sein un État génocidaire et négationniste qui répand la guerre à l’ensemble de ses frontières, en menaçant ouvertement en Méditerranée Chypre et la Grèce, déploie des supplétifs syriens en Libye, s’attaque aux Kurdes, alliés stratégiques des États-Unis en Syrie et – avec plus d’importance encore compte tenu de la nature du message – massacre les Arméniens du Haut-Karabakh, en armant l’Azerbaïdjan et en déployant des Djihadistes dans le Caucase du Sud.
Sur cette question, le timing choisi est particulièrement significatif. Les États-Unis sont, au côté de la Russie et de la France, les co-président du Groupe de Minsk chargés de trouver une solution au conflit. Il y aurait comme une incongruité à reconnaître le génocide arménien, immédiatement après la guerre du Haut-Karabakh, et rester en arrière main, passif, en laissant les survivants du génocide se faire rayer de la carte dans le Caucase, comme l’envisagent toujours les Présidents turcs et azerbaïdjanais. C’est aussi riche d’enseignement pour le Quai d’Orsay qui n’a eu de cesse de dissuader le président Macron d’une intervention forte, et d’ignorer les appels de l’ensemble de la classe politique ponctués par le vote de deux résolutions à l’Assemblée nationale et au Sénat, au nom d’une neutralité perçue par l’alliance turco-azerbaïdjanaise comme un blanc-seing pour poursuivre leur funeste projet.
La reconnaissance du génocide arménien n’est pas seulement un geste mémoriel c’est l’acte posé par le président Biden pour isoler la Turquie et appeler ses alliés à un changement de politique. En cela, c’est historique.
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