La faillite politique des États-Unis
Les débats sur le relèvement du plafond de la dette sont comme un jeu de roulette russe qui épate peut-être les politiciens de Washington, mais qui représente des risques réels pour le monde.
«Le président est de plus en plus fixé sur cette idée que le Congrès peut le tenir en otage quand bon lui semble. Au lieu d’avoir l’air d’être pris en otage, on doit juste changer l’opinion publique par rapport à ce qui est en train de se passer. On doit retourner la population contre les républicains. »
C’est ainsi que s’exprimait en privé le vice-président des États-Unis, Joe Biden, au sujet de son patron de l’époque, Barack Obama, au cœur de la plus importante crise sur le relèvement du plafond de la dette du gouvernement fédéral américain, à l’été 2011.
Dire que Biden n’en est pas à sa première joute politique à Washington relève bien entendu de l’euphémisme. Il importe aussi de souligner à quel point il sait que les duels autour du relèvement du plafond de la dette, un exercice budgétaire obligatoire pour les élus et nécessaire pour permettre au gouvernement fédéral de fonctionner, n’ont rien de nouveau.
Depuis un peu plus d’un siècle, le Congrès — Sénat et Chambre des représentants — doit périodiquement permettre au Trésor américain de payer les intérêts sur la dette nationale. C’est ce que l’on appelle relever le plafond de la dette, et c’est arrivé 78 fois depuis 1960.
Il ne s’agit pas de lui permettre directement d’emprunter davantage, mais de l’autoriser à s’acquitter des obligations minimales qu’il a déjà contractées. Bref, qu’il puisse payer des dépenses déjà approuvées et engagées. L’opération législative est l’occasion pour certains élus de faire passer des objectifs politiques. Des coupes là, du financement ici, une nouvelle loi pour ceci ou cela… Et c’est là que ça coince souvent.
Que se passe-t-il si les élus ne s’entendent pas ? La réponse théorique est affolante : un défaut de paiement, l’équivalent d’une déclaration de faillite de la plus importante économie de la planète. Le système monétaire actuel étant basé sur la confiance, un tel revirement risquerait d’entraîner un effondrement du dollar américain : quel investisseur voudrait acheter ce dollar s’il ne peut avoir confiance que son émetteur honorera ses obligations ? Taux d’intérêt qui explosent, grave récession, pertes massives d’emplois… Le scénario est apocalyptique.
Mais ça, c’est la théorie. En pratique, on ne sait pas exactement ce qui se produirait advenant un refus de relever le plafond de la dette, le concept n’ayant (heureusement) jamais été mis à l’épreuve jusqu’à maintenant.
Or, c’est cette incertitude devant le risque extrême d’un défaut de paiement qui confère au parti majoritaire au Congrès un outil de négociation puissant face à une Maison-Blanche dirigée par le camp adverse. C’est de cet outil que la nouvelle majorité républicaine à la Chambre des représentants en 2011 s’était servie pour arracher des concessions budgétaires à l’administration Obama.
Rebelote en 2023 pour la nouvelle majorité républicaine à la Chambre, qui cherche à obtenir des engagements budgétaires de l’administration Biden, soit des coupes de plus de 4 500 milliards de dollars, notamment dans l’assurance maladie et le programme de transition énergétique. À quelques différences cruciales près.
La marge de manœuvre républicaine est quasi nulle.
En 2011, les républicains sortaient d’un raz-de-marée électoral, au scrutin de mi-mandat de l’automne précédent, qui leur avait donné une confortable majorité de quelque 25 sièges à la Chambre.
L’actuelle majorité républicaine, à qui l’on promettait un tsunami électoral l’automne dernier, lequel ne s’est jamais produit, est cinq fois plus petite. Lorsque les républicains sont parvenus à faire passer leur plan de relèvement du plafond de la dette, le mois dernier, ils l’ont fait par un vote de 217 à 215.
Autrement dit, le leader républicain arrive à la table de négociation face à Joe Biden sans pouvoir se permettre de perdre des appuis dans ses propres rangs. Ce n’est pas ce qu’on appelle être en position de force.
Le Parti républicain a (largement) abandonné sa lutte contre le déficit.
Si la vague ayant donné la majorité aux républicains en 2010 était fortement mue par leur volonté de s’en prendre à la croissance de la taille de l’État fédéral après les plans de sauvetage de Wall Street et l’adoption du programme d’assurance maladie surnommé « Obamacare », elle ne trouve plus les mêmes échos aujourd’hui dans un parti résolument plus populiste et moins fiscalement conservateur.
La meilleure illustration de cette situation réside peut-être dans les attaques, qui font mouche, lancées sans relâche par Donald Trump contre son hypothétique rival pour l’investiture présidentielle républicaine, Ron DeSantis. Il l’accuse d’avoir voulu sabrer des programmes sociaux… lorsqu’il siégeait au Congrès, au début des années 2010.
Après les déficits des années Bush, les républicains pouvaient au moins se targuer de faire preuve de prudence fiscale. Aujourd’hui, c’est à peine s’ils peuvent y prétendre.
C’est simple, en 2023, aucun des deux partis majeurs n’a le moindre plan pour atteindre à court, moyen ou même long terme l’équilibre budgétaire.
On a une idée de qui serait heurté politiquement par un défaut de paiement.
L’épisode de 2011 est instructif à ce sujet. Après avoir attendu jusqu’à minuit moins le quart pour finalement s’entendre — et ayant provoqué de ce fait d’importants soubresauts dans les marchés, qui commençaient à réellement craindre une chute dans le gouffre —, c’est à la fois les républicains du Congrès et le président Obama qui ont été blâmés par la population.
En d’autres termes, personne ne gagne politiquement à un jeu de « chicken » qui va jusqu’au bout. Ce qui signifie que, presque assurément, après bien du tapage et des manchettes, on finira par s’entendre. L’autre option serait un véritable pacte de suicide — économique et politique.
Ce qui ne change pas le fait que, sur le fond, un autre risque de suicide économique, aussi (sinon plus) pernicieux, continue de croître petit à petit, chaque année d’endettement additionnel massif, le tout nous conduisant aujourd’hui aux portes d’une dette nationale de 32 000 milliards de dollars.
Elle éclipse désormais confortablement le PIB des États-Unis.
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