Be Cool!

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Il est de bon ton de rire de Donald Trump. Lorsqu’il est monté sur scène en ce jour dit « de la libération » avec son grand tableau listant les pays visés par des droits de douane, la presse mondiale s’est esclaffée comme si elle était devant le célèbre docteur Folamour mis en scène par Stanley Kubrick. Pourtant, à Bruxelles, personne ne riait et les mines étaient contrites.

À l’heure où les États-Unis viennent de suspendre pour 90 jours les droits de douane de 20 % pour les ramener à 10 %, l’Europe s’interroge toujours sur la stratégie à adopter. Faudra-t-il contre-attaquer « d’une main de fer » afin de « faire payer à Trump le prix politique maximal », comme le suggère l’hebdomadaire de Hambourg Die Zeit ? Ou au contraire « rester calme », comme dit Trump, et négocier, ainsi que le laissaient entendre il n’y a pas si longtemps la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, et le nouveau chancelier allemand, Friedrich Merz, selon qui ces différends commerciaux pourraient se régler en achetant plus d’armes et de gaz à l’Oncle Sam, comme le réclame Donald Trump ? En attendant de connaître le fin mot des objectifs du président américain, l’Europe temporise.

Si les arguments de Donald Trump sont parfois une insulte à l’intelligence, nombre d’observateurs européens croient néanmoins discerner une véritable stratégie derrière les gesticulations du président. « S’il apparaît comme désordonné, incohérent, contradictoire, ses idées forcenées ne sont dénuées ni de réalité ni d’une certaine cohérence », écrit le professeur à HEC Olivier Klein dans le quotidien Les Échos.

D’abord, tous ceux qui prétendent que jamais l’économie mondiale n’a connu un tel séisme se trompent. En 1971, Richard Nixon avait stupéfié le monde entier en supprimant la convertibilité du dollar en or, qui était jusque-là un pivot de l’ordre monétaire international issu de la Seconde Guerre mondiale. À cette époque aussi, il s’agissait de rééquilibrer les flux commerciaux et de garantir la suprématie des États-Unis en leur permettant de s’endetter sans augmenter les stocks d’or pour financer, notamment, la guerre du Vietnam et l’État-providence. La nouvelle scandalisa les alliés des États-Unis, car, au lieu de viser la Chine comme le fait Trump aujourd’hui, Nixon visait surtout l’Allemagne et le Japon, devenus ses nouveaux concurrents et à qui il imposa unilatéralement des droits de douane de 10 %. La mesure permit de relancer la croissance, mais au prix d’un endettement de plus en plus lourd.

Au contraire, ce qu’on appelle la « doctrine de Mar-a-Lago » veut rompre avec la mondialisation débridée des années 1990 qui fut accélérée par l’accession de la Chine à l’Organisation mondiale du commerce en 2001. Un ordre mondial de plus en plus défavorable aux États-Unis, estime Donald Trump, qui a d’ailleurs permis à la Chine de s’imposer comme la deuxième puissance du monde.

Ceux qui ne voient dans le président américain que chaos et incohérence devraient suivre le conseil du ministre français de l’Économie, Éric Lombard, qui discerne chez Donald Trump « une véritable idéologie à l’œuvre ». Lombard invite tous ceux qui sont prêts à passer la camisole de force au maître de la Maison-Blanche à lire l’essai rédigé après la victoire de Donald Trump par son principal conseiller économique, Stephen Miran : Guide pratique pour restructurer le système commercial mondial. Comme l’indique le titre, ce stratège diplômé de Harvard ne se donne ni plus ni moins pour but que de remodeler l’ordre économique mondial.

Cette guerre commerciale ainsi que la menace de retirer le parapluie militaire américain aux Européens, écrit-il, ne seraient qu’un levier pour arracher des concessions aux pays alliés. Une « arme de négociation massive », écrit la philosophe française Julie Girard. Cette négociation a d’abord pour but d’alléger le fardeau de la dette américaine (25 000 milliards de dollars) et de relancer la croissance industrielle. Car, selon Miran, l’extraordinaire privilège dont jouit le dollar comme première monnaie d’échange internationale aurait aussi sa contrepartie : une inévitable surévaluation qui a fait exploser la dette et provoqué la désindustrialisation du pays.

Comme Nixon avant lui, Trump veut donc faire baisser le dollar pour relancer l’industrie à forte valeur ajoutée et protéger le statut de la première puissance économique et militaire du monde. À une époque où les empires sont de retour, « si vous n’avez pas d’acier, vous n’avez pas de pays », dit Trump. Selon une enquête du groupe Capgemini, cette réindustrialisation aurait d’ailleurs déjà été en partie anticipée par deux industriels sur trois, qui prévoient de rapatrier une partie de leurs investissements. On comprend pourquoi Trump est devenu le héros des ouvriers de la Rust Belt.

De très nombreux économistes, comme le Français Patrick Artus, estiment au contraire que les droits de douane et la réduction de l’immigration ne feront que souffler sur les braises de l’inflation. La voie retenue par Trump « est à la fois très risquée, brouillonne et contradictoire », renchérit François Meunier, de l’Institut polytechnique de Paris. Miran ne manque pas non plus d’ennemis parmi les autres conseillers du président. Il affirme pourtant que, si la voie est étroite, il y a moyen d’éviter ces conséquences négatives, comme ce fut le cas lors du premier mandat de Donald Trump.

Les dirigeants européens ont beau feindre la surprise, cette politique était largement prévisible, Trump n’ayant jamais dévié de cette école de pensée. Avec des taux d’inflation astronomiques, sans oublier la crise du pétrole, à son époque, Nixon avait lui aussi frôlé le marasme économique. On estime pourtant qu’à long terme, il avait ouvert la porte à la croissance et permis de financer la révolution technologique qui a suivi.

À l’heure où l’Europe et le reste du monde cherchent le meilleur moyen de répliquer à Trump, il importe avant tout de comprendre les intentions de l’adversaire. Le personnage a beau être déconcertant, encore faut-il pour cela ne pas le considérer comme un demeuré.

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