Stunned by the quick succession of recent events, Dominique Moïsi provides a brilliant analysis of the unrecognizable world which is emerging with Trump’s arrival.
Columnists are at the heart of a newspaper, especially when, like Dominique Moïsi, they are involved with such dedication, belief and with the particular modesty often seen in great writers, never completely sure that they’ve met the expectations of their first readers, the journalists. Over the years, Moïsi has sent us his “view of the world” each week. The titles of his columns reflect the subjective view of a man of vast geopolitical learning. He roams the planet with unaffected delicacy, and because of this trait, he is listened to by those in power. Moïsi never tires of providing deep analysis of the upheavals seen throughout the world.
These very columns, which were published every Monday in our paper, can now be found in a new book, co-edited by Les Echoes and by Muriel Beyer and her team from Éditions de l’Observatoire. Reading these columns, a landscape takes shape, one which the author defines simply: “Less from America, more from Russia, yet less from Europe, a Middle East in complete implosion, a China which is ever more authoritarian and national, an axis from Moscow to Ankara to Tehran and a terrorist threat which has diversified and spread.” In the lengthy preface to the book, Moïsi describes his amazement at a world which, in his view, has become “unrecognizable.” Here are some extracts.
The Time for Demagogues
“Donald Trump will be the 45th president of the United States ... The clock by the television doesn’t merely show the hours, it also shows the days, and the coincidence of the dates really strikes me. Today is Nov. 9, 27 years to the day that the Berlin Wall came down. In politics this was the greatest day of my generation, at least for those of us who 'are in love with Democracy' and who never thought that their 'dream' would come true so quickly. With each following Dec. 9 we saw change. However, what I’ve seen in 2016 could be the complete opposite of what I lived through in 1989 and could be the worst political defeat of my generation.”
The End of a Period of Peace
“The decades that we’ve seen since the end of World War II under the protection of the Americans have on the whole been years of peace, of prosperity and, of course, progress. They have been characterized by unquestionable success. As Martin Wolf reminded us on Jan. 6 in the Financial Times, globally, income per capita rose by 460 percent from 1950 to 2015. Also in the same period, the percentage of the population living in extreme poverty dropped from 72 percent to 10 percent and life expectancy rose from 48 to 71 years. However, figures are one thing and perception of reality is another. The overriding feeling of 2017 is one which is predominantly negative. Rising inequalities within developed economies, an increase in migratory movements, a general feeling of a loss of control over the future and, even more worryingly, over our own identities. Winter is approaching, or rather, it has already set in.”
From Hope to Fear
“There has been a reversal of order. The world has brutally moved from hope to fear. America has passed from having a role model status to being the exact opposite. Yesterday, the U.S. was a stronghold of democratic values, the ultimate protection against blunders committed throughout the world, despite having committed some of their own like Vietnam and Iraq. The U.S. has brutally switched its position and is now at the forefront of populism.”
Obama’s Deception
“Eight years ago, Barack Obama had just been elected president of the United States. At the time, I had anticipated and hoped for his victory. I celebrated his victory. In this uncontested victory of the democratic candidate I saw a definitive collapse of the 'wall of skin color' after that of the 'wall of repression' in Berlin. In a slightly chaotic way (and sometimes tragically such as on 9/11) history made sense and was still progressing in the ‘right direction.’ A cycle of good had just reopened with Obama’s election … but from the very beginning of his administration, doubt progressively started to mix into my joy. I remember this period. I was teaching at Harvard and I could really appreciate the gap that existed between the brutality of the crisis and the beauty of the words of presidential speeches.”
Médusé par l'accélération de l'histoire, Dominique Moïsi analyse ici avec brio ce monde « méconnaissable » dont le passage d'Obama à Trump est le symptôme.
Un chroniqueur fait aussi l'âme d'un journal. Surtout lorsque, comme Dominique Moïsi, il s'y implique avec une telle foi, une telle application et avec cette modestie singulière qui est souvent la marque des grandes plumes, jamais assurées d'avoir satisfait les attentes de leurs premiers lecteurs que sont les journalistes. Chaque semaine depuis plusieurs années, Dominique Moïsi nous livre son « Regard sur le monde ». Une fois n'est pas coutume, le titre de la rubrique n'est pas usurpé tant il s'agit en effet du « regard » subjectif d'un homme à l'immense culture géopolitique, arpentant la planète avec une gourmandise intacte, écouté pour cela des puissants, et jamais rassasié d'analyser avec profondeur les soubresauts du monde.
Ce sont ces chroniques, publiées chaque lundi dans notre journal, que vous retrouverez dans ce livre, admirablement rangées par thèmes par Muriel Beyer et ses équipes des Editions de l'Observatoire, coéditeurs avec « Les Echos », de l'ouvrage. Ces chroniques dessinent un paysage que l'auteur définit en quelques mots très simples. « Moins d'Amérique, plus de Russie, toujours moins d'Europe, un Moyen-Orient en pleine implosion, une Chine plus autoritaire et nationale, un axe Moscou-Ankara-Téhéran et une menace terroriste qui s'étend et se diversifie. » Dans une longue préface à ce livre, Dominique Moïsi avoue avec humilité et effarement sa stupeur devant un monde devenu, à ses yeux, « méconnaissable ». En voici quelques extraits.
L'heure des démagogues
« Donald Trump sera le quarante-cinquième président des Etats-Unis... L'horloge à côté de la télévision n'indique pas seulement les heures : elle affiche aussi les jours. La coïncidence des dates me frappe brutalement. Nous sommes le 9 novembre. Il y a vingt-sept ans, jour pour jour, le mur de Berlin s'effondrait. Le plus beau jour politique de ma génération, au moins pour ceux qui, comme moi, sont des "amoureux de la démocratie" et qui ne pensaient pas que leur "rêve" se réaliserait si vite. Les 9 novembre se suivent et ne se ressemblent pas. Ce que je vis en 2016 n'est-il pas l'absolu inverse de ce que j'ai vécu en 1989, la plus grave défaite politique de ma génération ? »
La fin d'une période de paix
« Les décennies que nous venons de vivre depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, à l'ombre de la protection américaine, ont été globalement des années de paix, de prospérité et, n'hésitons pas à le dire, de progrès. Elles sont marquées par des succès incontestables. Comme nous le rappelait le 6 janvier 2017, dans le "Financial Times", Martin Wolf. Au niveau de la planète, le revenu par habitant a augmenté de 460 % entre 1950 et 2015. La proportion de la population en état d'extrême pauvreté a chuté de 72 à 10 % entre les années 1950 et 2015. De manière globale, l'espérance de vie est passée de 48 ans à 71 ans entre 1950 et 2015. Mais les chiffres sont une chose, la perception de la réalité en est une autre. Le sentiment qui domine en 2017 est très globalement négatif. Montée des inégalités à, l'intérieur des économies développées, accroissement des mouvements migratoires, sentiment généralisé de perte de contrôle sur son avenir et de manière plus déstabilisante encore sur son identité... L'hiver approche ou plutôt il s'est installé de manière irrésistible sinon logique. »
De l'espoir à la peur
« La chronologie s'est inversée. Le monde est brutalement passé de l'espoir à la peur, l'Amérique du statut de modèle à celui d'antimodèle. Elle était hier encore le bouclier des valeurs démocratiques, l'assurance-vie ultime contre les risques de dérapage du monde, en dépit de ses propres dérives du Vietnam à l'Irak. Elle est passée brutalement à l'avant-garde du populisme... »
La déception Obama
« Huit ans en arrière, Obama venait d'être élu président des Etats-Unis. J'avais alors anticipé et souhaité sa victoire. J'exultais, ou plutôt je rêvais. Je voyais dans le triomphe incontesté du candidat démocrate la chute définitive du "mur de la couleur de peau", après celle du "mur de la répression" à Berlin. De manière un peu chaotique il est vrai, parfois tragique même, comme le 11 septembre 2001, l'Histoire avait du sens et continuait de progresser dans la "bonne direction". Un cycle vertueux venait de se rouvrir avec l'élection d'Obama... Dès le début de l'expérience Obama, le doute se mêle progressivement à la joie. Je me souviens de cette époque. J'enseignais alors à l'Université Harvard, je ressentais le décalage qui pouvait exister entre la brutalité de la crise et la beauté des discours présidentiels. »
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