La nouvelle humilité américaine, et ses dangers
L’INVITÉ «Car si les Américainssont en train de redevenir raisonnables,modérés et sympas,qui nous restera-t-il à détester?»
CLAUDE MONNIER, Chroniqueur
Publié le 07 novembre 2006
Les Américains votent aujourd’hui pour renouveler leurs Chambres. Le moment est donc opportun pour évoquer un phénomène étrange: le récent adoucissement rhétorique de George W. Bush. Finis, dans sa bouche, les «mission accomplie», «amenez-les moi morts ou vifs», «nous sommes en train de gagner», «l’Amérique n’a pas l’intention de tout laisser tomber et de se tirer (cut and run)», «nous ne changerons pas de trajectoire (we’ll stay the course)». Depuis quelques semaines, le président est devenu plus humble, ferme sans doute, mais plus humble.
N’a-t-il pas publiquement admis que l’Irak est pour l’Amérique un peu comme un second Vietnam, alors que quiconque se risquait à cette comparaison il y a quelques mois encore, passait pour un défaitiste et un traître? N’a-t-il pas concédé qu’en Irak les choses ne vont pas aussi bien qu’il s’entêtait à le prétendre jusqu’ici? N’a-t-il pas redécouvert les vertus apaisantes de la diplomatie multilatérale, onusienne notamment? Mais plus que le contenu même des discours, c’est le ton qui est clairement moins «macho» désormais.
Il y a là, sans doute, une part de calcul politique. Mais aussi autre chose, je crois. George W. Bush et ses conseillers se sont vraisemblablement rendu compte qu’avec leurs rodomontades sécuritaires perpétuelles, leurs mensonges grandiloquents et leur prétention messianique à sauver le monde du terrorisme, ils en ont fait trop, beaucoup trop. Et que loin de rallier à leurs thèses le plus grand nombre, comme ils l’espéraient assurément, ils ont au contraire exaspéré les trois-quarts de la planète et perdu une bonne partie de leur crédibilité. Il est donc possible que dans ces conditions ils aient jugé plus efficace de baisser leur discours de trois tons au moins.
Et s’ils ont décidé de baisser de trois tons, nous devrions être aux anges! N’est-ce pas là ce que nous voulions tous? Hélas, rien n’est jamais simple. Je n’exclurais donc pas que, demain, nous en venions à regretter un peu les hyperboles machistes du président américain. Il pourrait y avoir à cela trois raisons au moins.
Primo: si les Américains sont vraiment en train de redevenir raisonnables, modérés, constructifs, beaux joueurs collectifs, vraiment sympas, qui nous restera-t-il à détester? Or, détester une grande puissance est, pour les puissances moyennes et mineures, le meilleur moyen de se sentir moins seules dans le noir!
Secundo: l’humilité nouvelle de George W. Bush pourrait aussi indiquer que la puissance économique, militaire et politique de l’Amérique est plus atteinte désormais que nous ne l’imaginions. Or, la dernière fois qu’une superpuissance a révélé soudain qu’elle avait des pieds d’argile, c’était en 1989, lorsque l’Union soviétique est partie en morceaux. Il s’en est suivi un désordre planétaire dont nous ne sommes point encore sortis aujourd’hui. Si donc l’Amérique devait connaître elle aussi un affaiblissement fût-ce très modérément comparable à celui de l’ex-URSS, la pagaille planétaire serait dix fois plus grave encore. Pas une bonne nouvelle, ça.
Tertio: si l’Amérique est affaiblie, le fait que, demain 8 novembre, les Démocrates se retrouvent ou ne se retrouvent pas majoritaires dans les Chambres, ou que dans deux ans un président démocrate soit ou ne soit pas élu pour remplacer George W. Bush ne changera pas grand-chose à la politique réelle des Etats-Unis, car les faits dicteront leur loi. Preuve en est que les Démocrates n’ont aujourd’hui aucune véritable idée de rechange à proposer, ils sont presque effacés idéologiquement.
Bref, il serait prudent ne point se réjouir trop tôt de la nouvelle humilité américaine.
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