Ce G20 à la carte, c’est ce qui pouvait arriver de pire”
Propos recueillis par Julie de la Brosse
A Toronto, les leaders des 20 puissances mondiales ont décidé de … ne pas décider grand chose. Que ce soit sur l’austérité ou la régulation financière, les Etats se sont laissés le libre choix de leurs actions. La réaction, pessimiste, de Jean-Charles Rochet, spécialiste de la régulation financière à la Toulouse School of Economics.
Le G20 de Toronto s’est achevé dimanche sans que les chefs d’Etats des 20 puissances mondiales ne se soient engagés à quoi que ce soit. Comment expliquez-vous ce sommet en demi teinte ?
Le problème de la Grèce et des autres pays européens a fait reculer la plupart des pays sur la réforme de la régulation financière. Ils ont eu peur de s’attaquer à la finance, craignant que cela ne pèse sur la reprise de l’économie. Les Etats-Unis notamment, qui auraient dû assumer un rôle de leader, ont reculé au dernier moment sur le sujet de la régulation, pour se focaliser sur la question de la croissance. Cela n’est pas très étonnant, mais c’est très grave. Plus grave encore qu’il y a deux ans, quand on espérait que la crise soit l’occasion de remettre les choses à plat. Ce G20 de sortie de crise n’a fait que renforcer un terrible constat : les Etats sont incapables de prendre des décisions de manière coordonnée. A Toronto, ils avaient le choix entre deux solutions : réformer le système financier international ou décider d’attendre que l’économie se stabilise pour faire des réformes en profondeur. En l’occurrence, ils n’ont choisi ni l’une ni l’autre. Ils ont décidé de laisser le choix à chaque Etat de faire ce qu’il voulait quand il le voulait.
Est-ce à dire qu’il aurait mieux valu se mettre d’accord pour faire une pause dans les réformes ?
Pas tout à fait. Le mieux aurait bien sûr été que les Etats aient le courage de faire avancer ces réformes. Mais laisser le choix aux Etats, c’est tuer dans l’oeuf toute forme d’engagement international. Ce G20 à la carte, c’est la pire chose qui puisse arriver à la régulation internationale. C’est la preuve qu’au moindre problème, en l’occurrence la crise de la dette, les Etats sont prêts à tout lâcher, même les réformes les plus urgentes.
On peut aussi considérer, comme Nicolas Sarkozy, que les initiatives des uns, comme la taxe sur les banques, feront “tâche d’huile”?
La taxe sur les banques est typiquement la décision qu’il aurait fallu prendre au niveau international, et donc pendant ce G20. Car le nivellement se fait toujours par le bas. Si quelques Etats seulement ponctionnent leur secteur financier, il est certain que les banques se délocaliseront là où elles seront le moins taxées. Résultat, ce sont les pays qui n’auront pas de taxe qui vont bénéficier de la politique vertueuse des autres. Ils n’auront aucune raison de faire des efforts pour la suite.
Un surplus de réglementation ne risquait-il pas d’avoir un effet néfaste alors que le spectre d’une lente récession plane à nouveau ?
C’est le grand argument des banques : à chaque fois que l’on tente de réguler le secteur elles font du chantage à la croissance. Cette attitude est insupportable. Il est en effet tout à fait possible d’inciter financièrement les banques à prêter aux entreprises, et de pénaliser leurs activités spéculatives, quitte même à ce que cela rogne un peu leurs profits. Dans cette hypothèse la croissance ne serait pas mise en péril, mais les activités spéculatives seraient encadrées comme il se doit. Néanmoins les Etats peinent à s’entendre sur ce type de mesures parce qu’ils ne sont pas sûrs de ce qu’ils veulent vraiment. Les hommes politiques sont à titre personnel sensibles à cette cause, car ils pensent à leur réélection, mais les gouvernements restent très dépendants des pressions des industriels de la finance. Pourtant, ce qui est sûr aujourd’hui, c’est qu’en cas de nouvelles pertes colossales des banques, les Etats n’auront plus les moyens financiers de réparer les dégâts.
Certains Etats, comme l’Australie ou le Canada, ont mis en avant le fait qu’ils n’avaient pas eu besoin de secourir leur industrie financière pendant la crise, et donc qu’ils n’avaient pas à payer pour les autres…
J’ai beaucoup de sympathie pour ces pays qui ne se sont pas stupidement engouffrés dans les subprime. Mais si vraiment leurs banques ont une activité spéculative limitée, alors elles ne seraient pas pénalisées par une taxe bien conçue visant à décourager la spéculation, non ?
Les Etats se sont mis d’accord ce week-end pour donner une priorité à la croissance, tout en divisant leurs déficits par deux. N’est-ce pas incompatible ?
C’était en effet le grand débat du week-end. Les Etats-Unis sont venus à Toronto pour prôner la croissance à tous prix. Tandis que l’Allemagne et l’Union Européenne sont venus vendre les vertus de l’austérité. Comme pour la régulation financière, on a donc trouvé un compromis sur la mise en place “de plans de consolidation favorables à la croissance”. C’est flou et pas vraiment contraignant. Néanmoins, à ceux qui disent que l’austérité et la croissance ne sont pas compatibles, je répondrai quand même qu’il n’est pas impossible d’arrêter le gaspillage tout en finançant des investissements socialement utiles par l’emprunt, et ainsi contribuer à la croissance. Cette solution n’est pas complètement absurde si elle est correctement appliquée par tous les pays. Malheureusement on a laissé aux Etats le choix de faire comme ils l’entendent.
Que faut-il attendre des prochains G20 ?
Je ne suis pas très optimiste pour la suite. A chaque G20, on se rend un peu plus compte de l’inutilité de ces sommets. A Londres et Pittsburgh les Etats s’étaient au moins accordés sur des mesures emblématiques comme la suppression des paradis fiscaux ou encore l’encadrement des bonus. Or aujourd’hui, ces engagements n’ont pas vraiment porté leurs fruits. Les paradis fiscaux n’ont toujours pas disparu et l’application des nouvelles réglementations sur les bonus est très variable selon les pays. A Toronto, aucune mesure concrète n’a été prise. C’est donc d’autant plus décourageant pour la suite. C’est pourquoi je pense qu’il vaudrait mieux remplacer ces G20 par des comités d’experts travaillant sur des solutions de long terme, qui seraient ensuite mises en application de façon coordonnée par les gouvernements . Cela éviterait de perdre du temps et de l’argent à brasser du vent.
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