En annonçant brusquement samedi soir la rupture des négociations de paix avec les talibans, et en affirmant lundi qu’elles étaient interrompues « pour de bon », le président Trump surligne à nouveau l’inconséquence de sa politique étrangère. À président improvisé, décisions improvisées. On s’en amuserait si son irréflexion n’était aussi délétère.
Cette rupture est le résultat du cafouillage ambiant : décidant qu’un accord de paix était à portée de main, et porté par le besoin pathologique de se mettre en valeur, Donald Trump avait conçu la semaine dernière sur un coup de tête le projet de réunir dimanche dernier à Camp David des leaders talibans et le président afghan, Ashraf Ghani, pour sceller l’entente. Dans la nuit de samedi à dimanche, il aura apparemment réalisé que le spectacle politique qu’il voulait mettre en scène courait au fiasco.
Le prétexte évoqué est fallacieux : M. Trump a prétendu que son revirement tenait à la mort d’un soldat américain dans un attentat commis jeudi dernier à Kaboul. Or, ce sergent était le seizième soldat à mourir cette année dans le feu de l’action depuis que les négociations ont commencé entre talibans et Américains. Les violences, qui continuent de faire annuellement des milliers de morts parmi les civils, n’avaient jusque-là jamais empêché les pourparlers directs, ouverts il y a un an, de se poursuivre.
Les vraies raisons sont ailleurs : si les négociations ont permis aux parties de s’entendre autour des grandes lignes d’un accord pour mettre fin à ces 18 ans de guerre — retrait militaire américain progressif contre engagement taliban de couper tout lien avec des organisations terroristes —, elles butaient en particulier sur un point au sujet duquel les négociateurs n’auront pas réussi à temps à bâtir des ponts : la volonté des États-Unis de conserver en Afghanistan une force « antiterroriste » après leur départ, fin 2020.
Ensuite, l’idée de tenir un « sommet » à Camp David en présence de leaders talibans sera, sans doute, vite apparue inopportune, tant elle risquait de heurter les sensibilités de l’opinion publique américaine. Le simple fait que des talibans mettent les pieds à Camp David, haut lieu de la mythologie diplomatique américaine, en aurait horripilé plusieurs, d’autant que ce sommet se serait tenu à l’approche de l’anniversaire des attentats du 11 Septembre.
Et c’était, enfin, beaucoup attendre de ce projet de sommet qu’il débouche sur un véritable traité de paix, dans la mesure où le gouvernement élu du président Ghani, que les talibans jugent illégitime, a depuis le début été complètement écarté des pourparlers. Que de raccourcis M. Trump est prêt à prendre pour satisfaire son ego.
Entendu qu’il cherche à tout prix à trouver une façon de retirer les 14 000 soldats encore stationnés en Afghanistan, de manière à pouvoir dire d’ici à la présidentielle de 2020 qu’il a tenu promesse. Ce que l’ambassadeur américain Zalmay Khalilzad a négocié depuis un an est, en fait, moins un accord de paix qu’une capitulation américaine. On peut se demander quelle vertu a la promesse talibane de ne pas cultiver le terreau terroriste dans un contexte où ces négociations, quoi qu’en ait dit la rhétorique américaine, ont fait l’impasse sur l’impératif pour la suite démocratique des choses qu’ait lieu un dialogue interafghan digne de ce nom. Qu’une paix soit conclue partant de l’urgence avant tout pour les Américains de prendre leurs jambes à leur cou, ce dont les talibans ne sont que trop conscients, et elle ouvrirait la porte à moyen terme au retour de ces derniers au pouvoir à Kaboul. Soit, encourager une réconciliation nationale avec ces fanatiques religieux tient peut-être de la vue de l’esprit ; il n’empêche que l’Occident n’a tout simplement pas le droit de s’en laver les mains.
M. Trump a-t-il vraiment renoncé « pour de bon » à négocier ? Peut-être, peut-être pas. Tel est le sentiment d’urgence à la Maison-Blanche, que la rumeur médiatique, en tout cas, parle maintenant d’un retrait américain sans accord, suivant la position défendue par le faucon John Bolton, conseiller de Trump à la sécurité nationale. Ce qui reviendrait, face aux Afghans — et aux Afghanes ! —, à une démission totale. Que 18 ans d’intervention militaire aient amplement fait la démonstration que les Américains ont raison de vouloir s’arracher au « bourbier » afghan est incontestable. Ce n’est pas pour autant une raison pour en sortir n’importe comment. Un retrait sans états d’âme anéantirait les fragiles gains obtenus par la population en matière d’accès à l’éducation et de libertés politiques et individuelles. Le bourbier l’est pour les Afghans avant que de l’être pour les États-Unis.
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