Trump Is Stumped. So Be It

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Trump est désarçonné, ainsi soit-il

Résumée sommairement, la vie électorale américaine oppose les villes (démocrates) au monde rural (républicain) dans un combat arbitré par des banlieues aux humeurs politiques alternantes. C’est une opposition ancienne, qui se superpose à d’autres clivages sociaux et culturels aiguisés par les dynamiques partisanes.

Replié sur son électorat MAGA, Donald Trump n’a pas fait autre chose que de chercher à amplifier cette opposition en choisissant comme colistier l’ultraconservateur J.D. Vance, qui a grandi dans une famille modeste d’une petite ville de l’Ohio. Sa stratégie populiste est la même que celle qui l’a porté de justesse à la présidence en 2016 : instrumentaliser au maximum le sentiment d’exclusion des communautés rurales ouvrières blanches. Sauf que, sans être entièrement fausse, cette image d’une Amérique profonde étranglée de ressentiment est caricaturale, comme est caricaturale la proposition que la ruralité américaine se résumera toujours à un monde accroché à la préservation des « valeurs traditionnelles », voire réactionnaires.

La stratégie qui a élu il y a huit ans Trump, ce faux antisystème, lui a fait perdre la présidentielle de 2020. À ne pas en démordre, en même temps que pris de court par la mise à la retraite de Joe Biden, Trump le miraculé s’expose aujourd’hui à une défaite à la présidentielle du 5 novembre prochain face à Kamala Harris, dont l’entrée en scène électrise les démocrates comme ça ne s’est pas vu depuis Barack Obama.

Mme Harris a fait un choix autrement intéressant et habile en retenant comme colistier les services de Tim Walz, gouverneur de l’État du Minnesota, là où les observateurs attendaient l’ambitieux Josh Shapiro, gouverneur de l’État clé de la Pennsylvanie. Bastion démocrate, le Minnesota, collé au Manitoba, est la pépinière progressiste de cette grande région du Midwest américain dont l’électorat est sur la ligne de crête entre démocrates et républicains.

Pour avoir été pendant 12 ans représentant d’un comté rural de l’État, M. Walz, boomer de 60 ans aux airs de grand-père affable, incarne non pas le divorce ville-campagne, mais plutôt sa conjonction. Pro-avortement et pro-contrôle des armes, il est tout le contraire idéologique de Vance, en même qu’il marche sur les plates-bandes républicaines de l’Amérique rurale. Qualité majeure : il a gagné ses élections avec l’appui d’électeurs indépendants et de républicains modérés. Il est donc l’homme blanc rassembleur dont le Parti démocrate attend qu’il aide Mme Harris, cette dangereuse gauchiste venue de la Californie, à grappiller juste assez de votes en milieu rural et ouvrier pour remporter les États pivots du Wisconsin, de la Pennsylvanie et du Michigan.

« Harris-Walz, le ticket le plus à gauche de l’histoire américaine », s’est alarmé sur le réseau X le gouverneur trumpiste de la Floride Ron DeSantis. Ce n’est pas si faux. Notable en effet est le fait que le profil de M. Walz ne tire pas distinctement le ticket démocrate vers le centre de manière à attirer les électeurs modérés. Il n’échappe non plus à personne que M. Walz est d’un État comptant une population musulmane notable, et où M. Biden a été sanctionné lors de la primaire de l’État pour son positionnement sèchement pro-israélien au sujet de Gaza.

Plus fondamentalement, le tandem s’inscrit dans la montée de l’aile gauche du Parti démocrate, qui s’est amorcée avec la candidature du « démocrate socialiste » Bernie Sanders en 2016, puis s’est affirmée sous le président Biden, considéré dans une certaine mesure comme le plus à gauche — et le plus pro-syndical — depuis Lyndon B. Johnson, dans les années 1960.

À en juger par une étude de l’American National Election Studies relevée par le New York Times, il se trouve du reste que le duo est clairement au diapason de la majorité des démocrates. Une étude qui indique en particulier que les démocrates blancs penchent plus résolument à gauche depuis le milieu des années 2010 sous l’impact de deux grands phénomènes concomitants : l’émergence de Trump et celle du mouvement Black Lives Matter, marquée en mai 2020 par le meurtre de George Floyd à Minneapolis par le policier Derek Chauvin. Ce que ne manqueront pas d’utiliser contre M. Walz les républicains, qui l’accusent littéralement, en déformant la vérité, d’avoir été du côté des émeutiers en tardant à faire intervenir la Garde nationale.

À trois mois de la présidentielle, les compteurs sont remis à zéro. Harris a réussi dans l’urgence à effacer l’avance dont disposait Trump face à Biden dans les sondages, de sorte qu’ils sont au coude à coude et que sont remis en jeu des États qui ne l’étaient plus.

Se tiendra ainsi dans une semaine et demie à Chicago la convention démocrate, avec force réminiscences de celle de 1968 et du mouvement antiguerre du Vietnam. Lyndon Johnson s’étant désisté, Hubert Humphrey, lui aussi du Minnesota, avait obtenu l’investiture pour ensuite perdre la présidentielle contre Richard Nixon. Qu’espère Trump ? Que Kamala Harris gaffe, que sa campagne trébuche, que le front commun démocrate se fissure. On ne veut pas le voir se remettre en selle.

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