Un homme de paix et de ponts
Jimmy Carter aura été ce qu’à peu près aucun de ses prédécesseurs et successeurs n’aurait pu être. Et pour cela, le monde doit lui être reconnaissant. Une inspiration en ces temps troubles.
Le décès de l’ex-président américain Jimmy Carter à 100 ans entraîne avec lui la liste, prévisible et immanquable, des faits les plus marquants de sa carrière publique : son élection à la présidence en 1976 après le scandale du Watergate ; sa présidence difficile, torpillée par une dure situation économique et la crise des otages en Iran, ayant mené à sa défaite en 1980 ; puis sa longue et extraordinaire postprésidence comme humanitaire, pour laquelle il a notamment remporté le prix Nobel de la paix.
Tout éloge funèbre, surtout pour le président ayant vécu le plus longtemps dans l’histoire américaine, est nécessairement incomplet. Tant qu’à devoir se limiter à des fragments, voici deux épisodes du passage du 39e président des États-Unis sur la scène politique qui rendent particulièrement honneur à l’homme ainsi qu’à l’héritage qu’il laisse derrière lui, comme bâtisseur de paix et de ponts.
Aux États-Unis : le pont entre le Nord et le Sud
Lorsque Jimmy Carter a brigué la Maison-Blanche en 1976, on parlait encore de ségrégation raciale aux États-Unis. Même si elle avait été
formellement abolie par la Cour suprême deux décennies plus tôt dans le célèbre jugement Brown c. Board of Education, elle continuait de semer la discorde — entre Blancs et Noirs, entre le Nord et le Sud… et entre démocrates et démocrates.
Historiquement, le Parti démocrate avait été celui de l’esclavage, puis de la ségrégation. C’est que la formation dépendait aussi, depuis des générations, de sa base rurale et populiste — de même que profondément ségrégationniste — dans le Sud. Et avec l’appui du parti aux droits civiques au milieu du XXe siècle, bon nombre de ses partisans du Sud avaient décidé de le quitter. Une bisbille interne sur la question des droits civiques avait menacé de faire éclater le Parti démocrate parce que son aile « nordiste » avait formellement pris position pour assurer davantage le respect des droits des minorités afro-américaines.
Ainsi, en 1968, la présence sur les bulletins de vote d’un tiers parti mené par le candidat ségrégationniste le plus connu à ce moment, George Wallace, avait contribué à l’élection du républicain Richard Nixon en divisant le vote démocrate dans le Sud. En fait, en ayant remporté cette année-là cinq États du Sud profond, dont la Géorgie, Wallace demeurait le candidat indépendant le plus couronné de succès au Collège électoral.
Quatre ans plus tard, en 1972, Wallace s’est représenté pour la présidence, cette fois dans les primaires démocrates, cherchant à redonner au parti sa base du Sud et son blason ségrégationniste — et il a récolté près du quart du vote.
Lorsqu’il s’est lancé dans la course présidentielle en 1976, Jimmy Carter avait à son tour dû affronter Wallace dans les primaires démocrates.
Or, Carter a décidé de tenter quelque chose qui semblait alors quasi impensable : se présenter à la fois comme candidat du Sud et comme étant favorable aux droits civiques. Carter avait été gouverneur de la Géorgie et avait marqué l’imaginaire en se retrouvant sur la couverture du magazine Time après avoir déclaré : « Le temps de la ségrégation raciale est révolu », en plus d’avoir accroché un portrait de Martin Luther King à l’intérieur du Capitole de l’État.
Et c’est en le battant dans des États qu’il avait remportés quatre ans plus tôt, comme la Caroline du Nord et la Floride, que Carter a mis fin à la carrière politique de George Wallace — et a expulsé pour de bon le ségrégationnisme comme force politique au sein d’un des deux partis majeurs aux États-Unis.
À l’international : le pont entre l’Égypte et Israël
Les accords de Camp David, signés en 1978 au milieu de son mandat comme président, figurent parmi ses grandes réalisations. Il faut surtout souligner que, pour l’époque, un tel dénouement s’avérait pratiquement inconcevable.
Dans les 20 années ayant précédé la présidence de Carter, Israël avait été impliqué dans la crise de Suez, la guerre des Six Jours, la guerre d’attrition et la guerre du Kippour. Dans tous les cas sans exception, l’Égypte était également impliquée, en éternelle opposition à Israël. Et sans doute était-elle aussi, doit-on le rappeler, la plus grande puissance militaire du monde arabe à l’époque.
C’est dans ce contexte de poudrière que Jimmy Carter, de façon improvisée, a invité à la résidence présidentielle secondaire de Camp David, au Maryland, le premier ministre israélien Menahem Begin et le président égyptien Anouar el-Sadate. Pendant 13 jours — exactement la même durée que la crise des missiles de Cuba —, Carter est resté isolé à Camp David, laissant de côté tout autre dossier et refusant de parler à qui que ce soit des médias ou du public.
Au cours de cette retraite, les deux adversaires israélien et égyptien ne se sont presque jamais rencontrés et n’ont presque jamais discuté ensemble directement. C’était Carter qui relayait personnellement les messages entre eux et tentait de les amener chacun, petit à petit, à accepter suffisamment de compromis pour faire la paix.
Après 13 jours, une entente a bel et bien été conclue — et 45 ans plus tard, la paix entre l’Égypte et Israël se maintient toujours.
***
Le décès de Jimmy Carter survient tristement, au moment où les tensions mondiales ont rarement été si vives, où la guerre et la menace de guerre semblent si présentes.
Rappelons-nous une chose au sujet du 39e président des États-Unis qui ne pourrait être dite de l’ensemble de ses prédécesseurs : il était, au fond, un homme de paix.
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