C’était un échange avec les journalistes qu’on qualifierait de banal. Surtout en ces temps incertains et troublants où une mauvaise surprise ne fait qu’en cacher une plus grave.
Ce matin-là, Washington se réveillait sous quelques centimètres de neige. Ce qui ne serait qu’un inconvénient au Canada frise le désastre naturel dans la capitale américaine.
Or, Barack Obama est de Chicago, l’une des grandes villes du nord des États-Unis endurcie aux intempéries de l’hiver. En fait, même un Canadien venu du froid aurait du mal à croire la férocité des blizzards aveuglants qui s’abattent sur le Lakeshore Blvd. de l’immensité du lac Michigan.
«Avant de commencer, j’aimerais dire quelques mots sur Washington», a dit avec un large sourire le président, en ouvrant sa conférence de presse en cette journée de cataclysme dans le District de Columbia.
«L’école que fréquentent mes enfants est fermée aujourd’hui… Mes enfants me disaient ce matin : ‘Papa, à Chicago, les écoles ne ferment jamais !’ Et ma plus jeune de sept ans ajoutait : ‘Et ils nous obligent à sortir dehors pour la récréation !’«
Aussi insignifiants puissent être ces commentaires pour l’avenir de la planète, la facilité qu’a Obama de faire ainsi de l’humour dans un contexte où un autre président adopterait délibérément une mine de fin du monde, en dit long sur la mesure de l’homme.
Assurance et confiance
Car ce qui étonne vraiment d’Obama au pouvoir, outre son assurance absolue et sa confiance totale en ses moyens, est qu’il donne l’impression d’un homme qui est singulièrement en paix avec lui-même.
Au coeur d’une des pires tourmentes économiques de l’histoire qu’a connue l’Amérique, il continue d’inspirer un peuple épris d’anxiété parce qu’il a le don de nous laisser avec le sentiment que, malgré son jeune âge, il en a vu d’autres.
On ne compte pas les chats qu’il a à fouetter. Pourtant, jour après jour, ce président qui semble être né pour l’être, veut les fouetter tous en même temps. Et il le fait avec un calme déconcertant qu’on méprendrait pour de la naïveté si l’on ne ressentait pas la force implacable de l’homme derrière chacun de ses gestes, chacun de ses mots, chacune de ses décisions.
Il profite évidemment de la lune de miel traditionnelle accordée par les médias et la population à tout président nouvellement élu. Mais, pour une raison que seul la solidité de son caractère puisse expliquer, on a aussi la conviction que, dans son cas, c’est beaucoup plus profond, beaucoup plus vrai.
Ce n’est pas qu’il n’a pas déjà connu des revers au cours de ses deux premières semaines à la barre du monde libre.
D’abord, il a pris la fâcheuse habitude de nommer à des postes majeurs des gens qui ne payent pas leurs impôts. Tim Geithner, son secrétaire du Trésor, devait la somme de 34 000 $ lorsqu’il a été nommé au poste qui le rend responsable, entre autres, du revenu national. La semaine dernière, c’était au tour de son secrétaire à la Santé, l’ex-sénateur Tom Daschle, qui a dû s’excuser au Congrès du fait qu’il avait négligé de payer 120 000 $ en impôts.
Geithner a survécu mais, pour d’autres motifs qui risquaient de faire scandale, Daschle a annoncé hier qu’il retirait sa candidature. Jusqu’ici, le président n’en semble pas meurtri ou dérangé dans son plan de match pour autant.
Règne bipartisan
Obama a aussi subi ce que les médias auraient voulu voir comme une gifle majeure lorsque son projet de loi de stimulus économique de 819 milliards $ est passé devant la Chambre des représentants. Le nouveau président a posé le geste sans précédent d’aller rencontrer les élus du Parti républicain pour les convaincre du bien-fondé de son projet. Résultat : ils ont tous voté contre.
Les médias ont eu la gâchette rapide en concluant que les beaux rêves d’un règne bipartisan prôné par Obama en campagne électorale n’étaient que cela : une illusion. Le président a réagi en invitant ses adversaires républicains à se joindre à lui et à d’autres démocrates pour un party du Super Bowl à la Maison-Blanche.
En début de semaine, on croyait que certains, sinon plusieurs, sénateurs républicains seraient prêts à voter pour le projet d’Obama si le président consentait à certains amendements.
La semaine dernière, Obama donnait une autre démonstration de son ouverture et de son aisance dans la mare de Washington en acceptant de livrer un discours devant le Alfalfa Club, un club fondé en 1913 par des sénateurs du Sud pour commémorer l’anniversaire du général Robert E. Lee, chef des forces confédérées durant la Guerre de Sécession. Le club n’acceptait pas de membre de race noire avant 1970 ou de femmes avant 1994.
Et le président qui doit son élection à la défaite de Lee, du Sud et de l’esclavage, ouvrait son discours intentionnellement comique en disant : «Si le Général Lee était avec nous aujourd’hui, il aurait 202 ans… et serait passablement confus.»
On se dit que le bon temps ne peut durer. À jongler avec une douzaine d’assiettes de porcelaine à la fois, Obama va finir par en échapper une. Et le fracas du reste suivra.
Nul doute qu’il n’est pas intouchable. Mais, l’important est que Barack Obama le sait. Il ne se croit pas invulnérable… Tout simplement capable de surmonter les coups durs et de toujours voir le bon côté des choses. Il semble aussi prêt aux déceptions qu’il pouvait l’être à la victoire. Et si son étoile se ternit, le caractère de l’homme permettra à l’espoir de survivre. Au fond, c’est tout ce qui compte.
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