Si vous aviez le choix entre un avion A, où tous les passagers provenant de pays considérés comme «à risque» ont été fouillés systématiquement, et un avion B où ils ne l’ont pas été, lequel choisiriez-vous?
C’est la question que l’on m’a posée à la suite de ma chronique de mardi, où je m’interrogeais sur le bien-fondé des directives de profilage imposées par l’administration Obama aux voyageurs originaires de 14 pays considérés comme «à risque».
La question, telle qu’elle est formulée, suggère que la bonne réponse est A. J’aurais eu tendance à le croire aussi avant de creuser davantage le sujet et de me rendre compte que le gros bon sens, dans ce cas-ci, est trompeur.
Qu’on le veuille ou non, en ces temps de menaces terroristes, le profilage est un mal nécessaire dans les aéroports. Mais il y a plusieurs types de profilage. Et il est illusoire de croire que tous sont également efficaces.
Dans un texte publié dans le New York Times, l’expert en sécurité Bruce Schneier, auteur du livre Beyond Fear: Thinking Sensibly About Security in an Uncertain World, distingue deux types de profilage. Le profilage comportemental, qui, comme son nom l’indique, consiste à s’intéresser à la façon dont une personne se comporte. Et le profilage automatique, qui consiste à porter une attention particulière au nom et à la nationalité d’une personne.
Selon Schneier, la première méthode – préconisée par les autorités canadiennes – peut être efficace, bien qu’elle soit difficile à mettre en pratique correctement. Quant à la seconde – adoptée officiellement par les États-Unis depuis lundi -, elle est non seulement inefficace, mais elle finit par mettre davantage en péril notre sécurité.
Les terroristes n’ont pas tous le même profil et la même moustache. Ils ne viennent pas tous du même pays, n’ont pas tous la même couleur de peau. Il n’existe pas de logiciel qui puisse les reconnaître illico dans une foule de voyageurs. Des conservateurs américains réclament sans rire une file d’attente distincte pour tous les voyageurs qui s’appellent Abdul ou Mohamed. Mais cela n’aurait pas permis d’arrêter Richard Reid, le terroriste à la chaussure piégée, Britannique d’origine jamaïcaine. Ni Jose Padilla, Américain originaire de Porto Rico devenu islamiste radical, accusé d’avoir comploté un attentat à la «bombe sale». Cela n’aurait pas permis non plus d’arrêter un Timothy McVeigh, tout à fait blanc et américain.
À la recherche d’une solution simple, certains proposent d’imposer des fouilles plus poussées uniquement aux musulmans. Cette solution miracle aux yeux d’une certaine droite américaine est jugée aussi inefficace qu’inutilement discriminatoire par de nombreux experts. D’abord parce que, concrètement, ce serait un vrai casse-tête, comme le souligne à son tour dans le New York Times l’ex-agent du FBI et expert en terrorisme Michael German. Se fierait-on au nom de la personne? À son apparence? À ses origines arabo-américaines? La grande majorité des Arabes américains, rappelle-t-il, sont non seulement dénués de toute sympathie pour les terroristes, mais ils sont aussi de confession chrétienne.
Un tel genre de profilage religieux commanderait que l’on cible de façon plus large des Noirs, des Asiatiques, des Blancs et des Latino-Américains, note l’expert en terrorisme. Un exercice injuste, fastidieux et peu prometteur. Il serait beaucoup plus utile de consacrer davantage de ressources aux services de renseignement que de se lancer dans une telle opération. Sans compter que cela éviterait que les terroristes, habiles dans la rhétorique de la victimisation, n’exploitent cette injustice.
Si le profilage racial (ou national) est une mesure qui permet de calmer ceux qui crient au laxisme dans la sécurité, dans les faits, des études statistiques montrent qu’il n’est pas plus efficace que la fouille au hasard. Pire encore, observe Bruce Schneier, cela crée deux chemins pour franchir la sécurité: l’un où l’on est très attentif au moindre détail et l’autre où on l’est beaucoup moins. Ce qui revient à inviter les terroristes à trouver une façon d’emprunter le chemin le moins surveillé et à recruter, comme cela se fait déjà, des combattants qui déjoueront le profilage. Sur la liste des présumés criminels d’Al-Qaeda les plus recherchés par le FBI se trouvent déjà des gens comme Adam Gadahn, jeune Américain né en Oregon qui a grandi dans une famille chrétienne. Le profilage automatique serait tout à fait inefficace dans un cas comme celui-là.
Alors, pour répondre à la question: l’avion B vaut mieux que l’avion A. Et si les voyageurs de l’avion A peuvent être soumis à un profilage comportemental intelligent, c’est encore mieux. Tant qu’à brimer des droits, autant le faire de façon efficace.
Pour joindre notre chroniqueuse: rima.elkouri@lapresse.ca
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