The “Art” of Humiliating Algerians

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De l’Algérie, les Américains ne connaissent pratiquement rien. Certains ne retiennent de ce pays que les attaques terroristes, les massacres barbares commis durant la tragédie nationale. John est chauffeur de taxi. Il est Américain d’origine africaine. Quand on annonce notre nationalité, il se révolte nous accusant d’avoir tué son cousin soudanais, qui travaillait en Algérie pour le compte d’une entreprise étrangère. «Vous avez égorgé mon cousin. Vous êtes des terroristes», lance-t-il. A un moment donné, nous avons sérieusement pensé qu’il serait peut-être préférable de garder pour soi sa nationalité. Cela nous éviterait d’être tout le temps sur la défensive.

450.000 $ c’est tout ce qu’a dépensé l’Algérie en 2009 dans la capitale politique du globe, Washington, dans le cadre du travail de lobbying. Une somme insignifiante qui nous renseigne largement sur les faiblesses et les limites de la politique extérieure de l’Algérie.

Durant la même période, le Maroc, la Libye et l’Egypte ont débloqué le double et parfois le triple dans les coulisses du Congrès américain et des cercles de pression.

Les 450.000 dollars, dépensés au moment où le pays connaît une embellie financière exceptionnelle, expliquent le pourquoi de beaucoup d’événements auxquels des politiques et de simples citoyens algériens s’échinent, inlassablement, à trouver des éléments de réponses.

L’information est «top secret» en Algérie, mais elle est publique aux Etats-Unis. Pourtant, le pouvoir algérien est plus large lorsqu’il s’agit d’autres dépenses. Il devient paradoxalement plus avare quand il faut travailler l’image de marque du pays. Sur les 450.000 dollars, 30.000 seulement furent attribués au travail de sensibilisation autour des réformes économique et politique ainsi qu’à la procédure de réconciliation nationale engagées par le pays. Une peine logiquement perdue. Le classement de l’Algérie dans une liste noire, contenant les pays constituant une menace sur la sécurité mondiale, en est la dernière preuve tangible. L’Algérie a protesté. Menacé de recourir au principe de réciprocité. Mais qu’a-t-on fait pour empêcher le pire? Et éviter aux voyageurs algériens une énième humiliation sur le sol américain?

Les officiels américains que nous avons eu l’opportunité de rencontrer à Washington regrettent l’inscription de l’Algérie «allié stratégique des Américains» sur la «black liste.» Aussi étrange que cela puisse paraître, ils disent ignorer la raison de ce choix. «Je pense que les Etats-Unis ont agi à la hâte. Ils n’ont pas bien mûri leur démarche», nous confie une source diplomatique au fait du dossier. A l’horizon, une issue de crise se profile: «Cette liste n’est pas fixe. Elle subira probablement des révisions. Dans cette perspective, l’Algérie pourrait éventuellement être rayée de la liste noire, parce qu’aux Etats-Unis nous sommes conscients des sacrifices consentis par votre pays dans la lutte contre le terrorisme. L’ennemi numéro un des Américains.» Mais pour beaucoup d’Algériens, le mal est déjà fait.

New York 10 mars. Le bus qui transporte un groupe de journalistes arabes dont trois Algériens (L’Expression, El Watan, La Tribune) arrive à l’aéroport John Fitzgerald Kennedy. Alors que nos confrères poursuivaient leurs discussions sur la politique américaine au Proche-Orient, une seule question taraudait les envoyés spéciaux des journaux algériens dans le pays de l’Oncle Sam.

Serons-nous ou pas soumis au scanner corporel? La logique voudrait qu’on subisse cette mesure exceptionnelle. L’expérience nous tentait. Mais au tréfonds de nous-mêmes, chacun appréhendait un quitus ou une exception. Nous sommes des journalistes. Nous appartenons à un corps qui a souffert le martyre pendant la tragédie nationale. Nous faire subir cette humiliante épreuve serait «une injustice.» Un voeu presque exaucé. Je franchis la barre de sécurité de l’aéroport américain sans aucun problème. Cela ne fut pas le cas pour mes confrères d’El Watan et de La Tribune qui seront soumis à des contrôles plus approfondis. Parce qu’ils sont Algériens. Ils seront mis en quarantaine dans une cabine placée à quelques encablures du poste de contrôle. L’agent verse de la poudre sur leur vêtements (veste et pantalon) dans le but de détecter tout produit chimique ou explosif.

La fouille corporelle des journalistes permet à l’agent de récupérer des stylos et un carnet confiné dans les poches. Un alibi qui n’est évidemment pas suffisant pour porter une accusation d’appartenance à un groupe terroriste et embarquer les deux jeunes en prison.

Sur le billet d’avion, l’on remarquera cet imposant cachet vert du TSA (Travel Sécurity Airline). Un cachet qu’on ne trouvera pas bien évidemment sur les tickets de nos confrères arabes. Nous prenons notre mal en patience. Et de cette leçon, nous essayons de n’en tirer que le côté positif. Après tout, nous sommes des aventuriers. Juste une précision: nous ne passerons pas par le scanner corporel pour une raison évidente.

L’aéroport n’est pas équipé de ce matériel qu’on pourra trouver à l’aéroport de Tampa dans l’Etat de Floride. Nous nous dirigeons vers les postes de contrôle avec les mêmes appréhensions.

L’agent de sécurité (une femme) n’aura même pas besoin de revoir la liste des pays à risque. Elle invite les détenteurs de passeport algérien à ôter leurs chaussures, les vestes, les ceintures, les montres et la monnaie qu’on garde dans les poches des pantalons. Direction, le scanner corporel. Le regard des voyageurs étrangers est lourd d’accusation. Les jambes écartées, les mains levées, souriez, on est scannés! Notre bagage est scrupuleusement fouillé. L’agent nous ordonne de ne pas faire le moindre mouvement, même pas un geste de la main au moment du contrôle des papiers. Un confrère prend son courage à deux mains et interroge sur les raisons de cette fouille. La réponse est courte et cinglante: «Vous êtes sur une liste noire. Nous appliquons la loi.» Tout cela se fait face aux regards de nos confrères tunisien, mauritanien, palestinien, jordanien, égyptien et libanais qui n’ont pas été inquiétés. A ce moment-là, la même question revient avec persistance. Qu’a-t-on fait pour mériter cette humiliation? Pourquoi nous et pas les autres? Aux Etats-Unis, rares sont ceux qui connaissent la position géographique de l’Algérie. Un pays avec qui ils disputeront le premier tour de la Coupe du Monde prévue en Afrique du Sud. Souvent on confond Algeria et Nigeria. Et ceux qui, par chance, retiennent le nom du pays, nous engagent dans des discussions purement sécuritaires. De l’Algérie, ils ne retiennent que les attaques terroristes, les massacres barbares commis durant la tragédie nationale contre les civils. John est chauffeur de taxi. Il est Américain d’origine africaine. Quand on décline notre nationalité, il se révolte nous accusant d’avoir tué son cousin soudanais, qui travaillait en Algérie pour le compte d’une entreprise étrangère. «Vous avez égorgé mon cousin. Vous êtes des terroristes», lance-t-il. A un moment donné nous avions sérieusement pensé qu’il serait peut-être préférable de garder pour soi sa nationalité. Cela nous éviterait d’être tout le temps sur la défensive. La presse algérienne est remarquablement présente. Sur un imposant tableau figurent les photos des journalistes algériens assassinés par les terroristes. Une liste incomplète. Nombreux sont ceux qui n’y figurent pas. En face, la carte géographique du globe. L’Algérie est peinte en rouge. Cela signifie que la liberté de la presse est sévèrement restreinte. L’Egypte est en jaune. Pour les confrères, «les relations privilégiées entre les deux pays a influencé les concepteurs de la carte».

Mme Katherine Haris, ancienne congressiste républicaine, avoue, très gênée, qu’elle ignore tout de l’Algérie. Elle est en revanche plus à l’aise lorsque les journalistes tunisiennes l’interpellent. Avec une aisance remarquable, elle cite les différentes villes tunisiennes, elle parle des coutumes, des sites touristiques. Elle y était invitée plusieurs fois. Idem pour le Maroc. Ihab, notre traducteur qui connaît bien le pays, nous apostrophe sur cette passivité des Algériens: «Vous avez tout ce qu’il faut pour devenir la destination numéro un des touristes. La nature vous a gâtés. Votre diversité culturelle est remarquable. Votre cuisine est riche. Mais vous ne faites rien pour vendre l’image du pays.» Aux Etats-Unis, le couscous est un label marocain et Deglet Nour est «made in Tunisia». C’est du moins ce que pense un diplomate américain rencontré à Tampa: «J’ai découvert le couscous marocain dans une réception organisée à l’ambassade du Royaume chérifien aux USA. Le Roi avait envoyé son cuisinier pour l’occasion», nous révèle ce diplomate. Nous lui faisons savoir que notre couscous est meilleur. Nous sortons même de notre devoir de réserve pour lui expliquer devant nos collègues tunisiens, que nos voisins de l’Est «volent» notre datte et l’exportent à l’étranger. Que font nos représentations diplomatiques à l’étranger? Nous n’avons pas cessé de poser cette question lors de notre séjour américain.

Nous avons entendu plusieurs fois ce commentaire. «Les Algériens qui vivent aux USA sont mal organisés», contrairement aux autres communautés arabes. Ils appliquent le principe de «Henini Enhanik» (Laissez-moi tranquille) pour reprendre les termes de Aymen 24 ans, cet universitaire, originaire de Skikda. Il est à New York depuis deux ans et ne compte pas retourner au bled avant trois ans. «Quand je suis arrivé aux USA, j’ai essayé de m’approcher des Algériens qui sont là depuis plusieurs années. Honnêtement, ma soeur, la réaction de beaucoup d’entre eux m’a déçu.» Karim prépare un doctorat en sciences politiques. Afin de financer ses recherches, il n’a pas hésité une seconde à travailler dans un hôtel. «Je ne regrette rien. Ce pays m’ouvre des horizons que je n’aurai pas dans mon pays.» Karim souffre du lobbying exercé par les Libanais et les Marocains sur les médias arabes ou dirigés vers les pays arabes. «J’étais sur le point d’être recruté dans des organes de presse. Mais à deux reprises ce lobbying a pesé de tout son poids pour m’évincer de la course», témoigne-t-il. Pour lui, il faut commencer à penser sérieusement à s’organiser pour arracher une place dans une société qui ne pardonne pas les faiblesses et les échecs.

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