Au cours de la campagne présidentielle de 2008, Barack Obama revenait souvent sur son mindset, l’état d’esprit qui l’avait amené à s’opposer à l’aventure militaire en Irak. Il se disait essentiellement porté vers la solution pacifique des conflits. Selon cet esprit, la guerre ne devait être envisagée que comme un ultime recours.
On peut dire que le président est demeuré fidèle à cet esprit dans l’ensemble de sa politique étrangère. En témoigne sa récente déclaration en ce qui a trait à l’Iran:
«Si l’on veut dire à mon sujet que j’entretiens une préférence profonde pour la paix à l’opposé de la guerre, qu’à chaque fois que j’envoie des jeunes hommes et jeunes femmes au champ de bataille et que je constate les conséquences pour certains d’entre eux, s’ils ont la chance d’en revenir, et que cela pèse lourdement sur moi, je n’ai aucune excuse à offrir là-dessus.»
Le commandant en chef
Mais la politique obamienne est une constante dialectique. À chacune de ses déclarations, il oppose invariablement un «d’autre part» ou un «cependant». Ainsi, en contrepartie de son rejet de la guerre en Irak, il s’engageait dès le départ à poursuivre une «guerre de nécessité» en Afghanistan. Les troupes américaines s’y étaient engagées dès le lendemain des attaques du 11-Septembre, selon une riposte considérée comme légitime par la plupart des observateurs.
Il fallait éradiquer le régime taliban qui avait abrité le réseau al-Qaïda et son chef Ben Laden. Tout pacifiste qu’il fût, Obama savait bien qu’un candidat à la présidence des États-Unis doit apparaître comme un futur commandant en chef, déterminé à défendre les intérêts de son pays par les armes quand il le faut. C’est dans la guerre en Afghanistan et la capture de Ben Laden qu’il allait jouer ce rôle.
Obama a tenu promesse dans le cas du chef d’al-Qaïda et de l’élimination de ce réseau en Afghanistan. Certes, les méthodes cavalières utilisées pour en finir avec Ben Laden ont suscité beaucoup de questions, mais très peu aux États-Unis, même chez les commentateurs libéraux. Pour le public américain, c’est là un grand succès de la politique étrangère du président. On peut dire que cette capture est perçue comme le test majeur de sa présidence, là où il a fait paraître son «mettle» (son courage et sa détermination), comme on aime à le souligner dans son entourage. Un grand atout pour sa réélection.
Dans le cas de l’interminable guerre contre les talibans sur le sol afghan, Obama doit cependant accuser un échec lamentable. On peine à reconnaître le mindset qui devait lui faire renoncer à la violence quand elle n’apparaît pas nécessaire. Le président doit regretter amèrement d’avoir cédé aux pressions de son entourage, notamment celles d’un général McChrystal qui allait se moquer de lui par la suite. C’était à l’automne 2009: McChrystal proposait un «sursaut» de la guerre qui nécessitait l’envoi de troupes additionnelles pour assurer la victoire. Après mûres réflexions, Obama accepte d’envoyer 30 000 soldats de plus tout en s’engageant à amorcer un retrait dès l’été 2011. C’était, à son dire, la décision la plus pénible de sa présidence.
Gagner les coeurs et les esprits?
Selon la doctrine officielle et notamment celle d’un manuel rédigé par le général Petraeus, on devait s’engager résolument dans la conquête des «coeurs et des esprits» plutôt que dans la répression systématique de l’ennemi. Il s’agissait, selon les mots mêmes des responsables de l’intervention militaire, de construire des villages bien davantage que d’éliminer des talibans.
On pouvait déjà douter des vertus de cette stratégie en 2009. Considérant le type de formation que reçoivent les militaires américains, il y avait lieu de se demander comment ces tueurs professionnels allaient tout à coup devenir de gentils missionnaires. Comment les born to kill allaient se transformer en diplomates?
Les trois bavures récentes, dont la succession apparaît difficilement fortuite, ont consacré définitivement l’échec de la nouvelle stratégie afghane. Quelle que soit leur bonne volonté, les soldats américains et leurs alliés de l’OTAN sont toujours perçus comme des envahisseurs. Tout comme au Vietnam, tout comme en Irak, dans cette guerre la plus longue de l’histoire des États-Unis, le nationalisme local fait voir les soldats étrangers d’abord et avant tout comme des impérialistes. Les talibans, aussi méprisables soient-ils, se présentent comme des patriotes.
Même le président Karzaï, qui a raison de craindre pour la survie de son régime corrompu, se doit de dénoncer les soldats américains comme des «démons» au même titre que les talibans.
C’est là sans doute pour Obama, qui avait voulu considérer cette intervention comme une guerre juste, une défaite humiliante. Même la négociation avec les talibans ne semble plus possible dans le contexte actuel. Il ne reste qu’à envisager un retrait accéléré tout en tâchant de sauver la face et d’empêcher une conflagration.
Libre d’engagement militaire
La campagne électorale du président démocrate ne devrait pas en souffrir d’une manière significative. Les républicains, toujours plus militaristes que les démocrates, pourront difficilement attribuer cette défaite à l’esprit de conciliation d’Obama. Contrairement à l’opération libyenne, considérée somme toute comme un succès, le leadership américain en Afghanistan n’a jamais été discret.
S’il est reporté au pouvoir, Obama pourra au moins se consoler en préparant une fin de règne libérée d’engagement militaire notable dans le contexte d’une doctrine qui cherche à limiter les interventions. À condition, bien sûr, de ne pas intervenir en Iran. Ce qui est encore loin d’être assuré!
Louis Balthazar, professeur émérite de science politique à l’Université Laval et coprésident de l’Observatoire sur les États-Unis de la Chaire Raoul-Dandurand de l’UQAM
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