Edited by Tom Proctor
A trois mois du scrutin, Mitt Romney est à la traîne dans les sondages mais pour ceux qui croient dur comme fer à la prophétie du cheval blanc, il n’y a pas de quoi s’inquiéter. Le candidat républicain gagnera haut la main les élections, avant de sauver dans la foulée les États-Unis de l’apocalypse…
“Vous assisterez à la quasi destruction de la Constitution des États-Unis. Elle sera suspendue à un fil aussi fin qu’une fibre de soie (…) Le pouvoir sera alors donné au cheval blanc, afin qu’il puisse repousser les nations et vous lui obéirez, car il promouvra les lois de Sion”.
Pour les initiés qui savent décoder ces propos soi-disant tenus par Joseph Smith, le fondateur du mormonisme, cette prophétie est claire comme de l’eau de source. Pour les profanes, un décryptage s’impose.
– La “destruction de la sacro-sainte Constitution” a lieu en ce moment. Pour de nombreux critiques, ce texte fondateur est peu à peu détricoté par un gouvernement fédéral, qui outrepasse ses droits et impose de plus en plus son pouvoir sur les citoyens (à l’instar de l’Obamacare).
– Le “pouvoir suprême” évoque le poste de président des États-Unis.
– Le “cheval blanc“, représente symboliquement Mitt Romney, le fier destrier républicain.
– Les “nations ennemies” sont légion: Corée du nord, Yémen, Iran et probablement la moitié des pays se terminant par -stan.
– Les “lois de Sion“, le nom biblique de Jérusalem, représentent quant à elles les textes sacrés, soit les commandements dictés par Dieu.
Pour les convaincus, l’évidence saute aux yeux. Romney est l’homme providentiel qui sortira le pays, et par extension le monde, de l’ornière économique et spirituelle dans lequel il s’est enfoncé!
Une origine douteuse
Seul souci, dès lors que l’on creuse un peu, l’authenticité de cette prophétie ne tient elle aussi qu’à un fil. Joseph Smith est censé avoir effectué cette prédiction lors d’une vision survenue en Illinois en 1843, soit un an avant sa mort. Mais ses propos ne seront rendus publics que plusieurs années plus tard, par Edwin Rushton, un adepte qui prétendait se trouver sur les lieux. D’ailleurs, l’église mormone ne reconnaitra jamais cette prédiction et la rejettera officiellement dès 1918.
Mais ses origines pour le moins douteuses, n’empêcheront pas la “white horse prophecy” d’être reprise comme un fait avéré. De nombreux articles lui sont consacrés sur la toile, généralement à côtés d’autres textes traitant du calendrier maya, des francs-maçons, des illuminati et autres théories du complot.
Finalement, s’il prête à sourire, ce mythe est surtout révélateur des fantasmes que suscite “l’Église de Jésus-Christ des saints des derniers jours”, appellation à rallonge pour ceux que tout le monde décrit comme les mormons.
Joseph Smith: le fondateur
Le terme “mormon” a pour origine le nom d’un personnage historique central dans cette religion. C’est un prophète qui selon la tradition aurait vécu au quatrième siècle après JC en Amérique du Nord (plus d’un millénaire avant Christophe Colomb) et aurait compilé différents récits antiques dans un nouveau livre sacré. Le “Livre de mormon” occupe une place tellement essentielle dans cette religion, à l’image de la Bible du Coran ou de la Torah, qu’il finira par donner son nom à ses disciples.
La communauté mormone affirme compter plus de 14 millions d’adeptes à travers le monde mais ils sont surtout présents sur le sol américain, berceau de cette religion depuis 1830. Son siège central se trouve aujourd’hui à Salt Lake City en Utah mais c’est dans l’état de New York que son fondateur Joseph Smith a lancé le mouvement.
Une religion “made in USA”
Priant dans un bosquet, le futur prophète alors âgé de 14 ans aurait été témoin de plusieurs apparitions dont celles de de Jésus-Christ et de Dieu le père en personne. Ils lui donnèrent pour mission de reconstruire une église véritable, les institutions religieuses des hommes ayant perverti le message sacré originel.
Quelques années plus tard, il reçoit la visite d’un ange (Moroni) qui lui indique bien gracieusement l’endroit où sont cachées des écritures saintes, sur une colline dans l’état de New York. Quelques apparitions divines plus tard, Joseph Smith fondera sa nouvelle église et son premier temple en Ohio.
Pour la communauté des mormons, l’Amérique occupe une place particulière car c’est le pays dans lequel leur religion est née et c’est également l’endroit où leur prophète a assisté à plusieurs apparitions divines. Les États-Unis représentent ainsi la nouvelle terre sainte et la Constitution américaine relève du sacré.
L’état d’Israël est également tenu en haute estime, car le judaïsme est à la source de leur religion. Les “tribus perdues” qui peuplaient l’ancien royaume d’Israël dans l’ancien testament auraient juste traversé l’Atlantique…
(Pour en savoir plus sur ce vaste sujet, je vous conseille l’excellent blog “Mormonisme et Sociétés“)
Ascension politique
A l’instar des autres religions, le courant du mormonisme s’est vite rapproché de la scène politique. Joseph Smith tout d’abord, s’est déclaré candidat aux présidentielles en janvier 1844, avant de décéder quelques mois plus tard sous les balles d’opposants. Les circonstances de sa mort sont pour le moins polémiques mais Joseph Smith est instantanément devenu un martyr de la cause pour ses disciples.
Par la suite, la communauté des mormons a continué de grandir, aidé par une démographie galopante et à grand renfort de prosélytisme. Les adeptes investiront peu à peu les secteurs-clés de l’économie et se hisseront jusqu’aux plus hautes sphères politiques. Aujourd’hui, pas moins de cinq élus du Congrès sont d’obédience mormone, dont Harry Reid, le chef de file des démocrates au Sénat. Néanmoins, la plupart sont issus du camp républicain, traditionnellement plus conservateur. Comme Jon Huntsman, l’ancien gouverneur de l’Utah, qui a participé aux primaires du parti cette année et bien évidemment comme Mitt Romney qui les a remportées…
Cap sur la présidence!
A chaque fois qu’un candidat étiqueté mormon se lance dans une campagne présidentielle, les attaques à l’encontre de sa communauté ressurgissent et la prophétie du cheval blanc refait surface. Déjà en 1967, lorsque George W. Romney (le père de Mitt) s’est présenté aux présidentielles, il a dû répondre à des questions pressantes concernant cette prédiction.
Plus récemment, en 2000, le sénateur de l’Utah Orrin Hatch, subira le même traitement mais sa candidature ne dépassera pas le stade des primaires, face au prometteur George W. Bush. En 2008, Mitt Romney candidat pour la première fois, devra à son tour passer l’épreuve de l’interrogatoire. Dans l’espoir de faire taire une fois pour toute la rumeur, il déclarera au journal Salt Lake Tribune: “Je n’ai jamais entendu mon nom associé à la prophétie du cheval blanc ou quoi que ce soit de la sorte. Cela ne fait pas partie de la doctrine officielle…”
Polémiques à la pelle
Pour “l’Église de Jésus-Christ des saints des derniers jours”, les allégations concernant la prophétie du cheval blanc ne sont finalement qu’un détail. La congrégation religieuse doit se défendre contre des attaques bien plus sérieuses, concernant sa doctrine et ses activités, tant aux États-Unis qu’à l’étranger.
Parmi les griefs les plus souvent entendus: sa position très conservatrice à l’encontre des homosexuels et concernant la place des femmes dans la société. En outre, les mormons sont souvent accusés de pratiquer la polygynie même si le courant officiel a interdit cette pratique depuis plus d’un siècle (certains groupes dissidents la pratiquent toujours).
La discrimination à l’encontre des noirs a également été longtemps source de polémique, jusqu’à l’autorisation tardive de l’ordination des “prêtres de couleurs”, en 1978. L’église mormone a depuis fortement augmenté sa présence sur le sol africain.
Un autre grand dossier à charge concerne le “baptême des défunts”, un rituel symbolique de bénédiction des personnes disparues qui est parfois réalisé sans demander le consentement de leur famille. Ainsi par exemple, Ann Dunham, la mère de Barack Obama a été bénie lors d’une cérémonie de “salut des morts”. Plus dérangeant, des victimes de la Shoah mais également des anciens bourreaux nazis ont été baptisés en même temps.
Pour les mormons, chaque âme doit être sauvée et chaque vie humaine compte, c’est pourquoi ils sont devenus les spécialistes mondiaux de la généalogie. En Utah, dans des kilomètres de tunnels sous le désert, sont référencés des milliards d’individus des quatre coins du globe! Une base de donnée unique en son genre mais qui dérange certains détracteurs de ce fichage à l’échelle planétaire.
Un empire financier
L’opacité financière de l’église mormone a également fait couler beaucoup d’encre. Les autorités religieuses ne communiquent leurs bilans financiers que dans les pays qui l’exigent. Suite aux sommes colossales engrangées par la dîme versée mensuellement par les adeptes (10% de leurs revenus) et des investissements dans différentes sociétés, la petite congrégation s’est peu à peu transformée en un véritable empire financier.
Romney n’a d’ailleurs pas fait exception à la règle et a généreusement contribué à la cause en versant plusieurs millions de dollars. Selon une estimation du Times Magazine qui remonte à 1997, l’église mormone disposerait d’un capital de plus de 30 milliards de dollars. L’église a démenti cette projection, qui serait selon-elle nettement exagérée, mais difficile d’en savoir plus tant persiste le culte du secret. Quoiqu’il en soit, les finances de l’église mormone se portent bien.
Pour toutes ces raisons, sans compter leur prosélytisme à toute épreuve, leurs croyances millénaristes, leurs rites étranges et un rien anachroniques, l’église mormone est constamment visée par un flot de critiques plus ou moins justifiées. D’autant plus aujourd’hui avec Mitt Romney sous les feux des projecteurs.
Mitt Romney deviendra-t-il le premier président mormon des États-Unis? Verdict dans les urnes le 6 novembre prochain. S’il échoue rien de grave, les partisans de la prophétie du cheval blanc attendront le prochain candidat d’origine mormone pour la relancer. C’est l’avantage avec les prophéties, on peut sans cesse les réinterpréter à sa sauce….
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