La politique étrangère n’occupe depuis la fin de la guerre froide qu’une petite place dans la campagne présidentielle américaine, au point de devenir accessoire, y compris quand Washington est engagée sur plusieurs fronts et fait face à une multitude de défis. Cette réalité est confortée cette année par les difficultés économiques et sociales que rencontrent les États-Unis, et à l’exception de quelques empoignades sur l’Afghanistan, Barack Obama et Mitt Romney n’auront que peu d’occasions de débattre sur les affaires internationales.
Un sujet fait cependant exception, en raison de son incidence directe sur le quotidien des électeurs américains : la relation avec la Chine. Dans un climat économique morose, Pékin est ainsi le bouc émissaire idéal pointé du doigt comme responsable de tous les maux dont souffre l’Amérique, et l’argument d’un péril chinois mobilise aisément l’opinion publique là où les guerres de Washington ne font plus recette.
Diaboliser la puissance chinoise
C’est le candidat républicain qui s’est montré le plus engagé sur cette relation, en promettant de faire preuve de fermeté par rapport à la Chine, et en critiquant la politique d’Obama vis-à-vis de Pékin. Il a aussi appelé la Chine à respecter les « règles en vigueur » dans l’économie mondiale, accusant implicitement Pékin de manipuler sa monnaie afin de gonfler ses exportations.
Dans une tribune du Wall Street Journal publiée en février dernier, et tandis qu’il n’était encore qu’un des candidats aux primaires républicaines, Romney fit la promesse d’éviter l’avènement d’un « siècle chinois », en maintenant notamment une « forte présence militaire dans le Pacifique ». Dans le même texte, qui se veut une « réponse » à la montée en puissance de la Chine, Romney s’en prend au non-respect des libertés politiques par les autorités chinoises, se positionnant comme un candidat de la vertu, et insinuant au passage qu’Obama s’est montré trop complaisant à cet égard, et que son administration n’a pas suffisamment manifesté son opposition à une Chine non libre.
Pourtant, malgré un début de mandat tourné vers le dialogue avec Pékin, le président américain a lui aussi multiplié les critiques ces derniers mois, notamment en accusant la Chine de piller les droits de propriété intellectuelle des entreprises américaines. Avec la désignation d’une nouvelle équipe dirigeante à Pékin le mois prochain, Obama et Romney pourraient se livrer à une surenchère sur la diabolisation de la puissance chinoise.
Réplique de la Chine
Rompant avec une tradition de silence, les Chinois n’entendent cependant pas cette fois accepter les critiques sans réagir. Que ce soit par les canaux officiels ou sur les multiples blogues qui donnent un aperçu de ce que les Chinois pensent de leur pays et des États-Unis, les réactions ont été rapides et violentes, en particulier en marge de la convention républicaine de Tampa. L’agence officielle Chine nouvelle s’en est ainsi prise à Mitt Romney : « S’il est facile pour les responsables politiques américains de se défouler sur la Chine et de lui faire endosser la responsabilité de leurs propres problèmes, ils doivent se rendre compte que leurs mots et attitudes empoisonnent l’atmosphère générale des relations sino-américaines. »
Mais la critique est plus large, et touche également l’administration sortante. « Les hommes politiques américains de quelque parti que ce soit devraient se rendre compte qu’il est aussi dans l’intérêt de leur pays de traiter le développement chinois de manière objective, rationnelle », affirma ainsi le 1er septembre le porte-parole du ministère des Affaires étrangères Hong Lei dans un communiqué, ajoutant que Barack Obama et Mitt Romney devaient aussi « arrêter la critique sans fondement de la Chine, arrêter d’interférer dans ses affaires internes et faire plus pour promouvoir l’intérêt mutuel et la coopération entre la Chine et les États-Unis, avec une attitude plus responsable ».
Relations ambiguës
À l’exception des scrutins taïwanais, jamais la Chine ne s’est engagée aussi clairement dans une campagne électorale d’un pays étranger, et il n’est pas anodin que cette nouvelle posture débute avec la présidentielle américaine. Les deux pays entretiennent des relations ambiguës, oscillant entre le partenariat et la compétition, alternant le dialogue et la méfiance, et qui détermineront en grande partie les relations internationales dans les prochaines décennies.
Que ce soit sur les questions économiques, militaires, politiques, sociales et même idéologiques, ces deux pays que tout semble séparer conviennent de la nécessité d’un dialogue cordial, mais les points de discorde sont multiples. Washington ne s’en cache plus, Pékin non plus.
Cette attitude de la part de Pékin traduit par ailleurs une confiance importante, qui frôle parfois l’arrogance, de la Chine sur la scène internationale (dont les critiques adressées aux dirigeants occidentaux offrent un aperçu), et qui rompt singulièrement avec le profil bas préconisé sous Deng Xiaoping et maintenu depuis. Plus question pour les dirigeants chinois d’endosser le rôle de faire-valoir, et de servir de repoussoir à des candidats en quête de légitimité et de soutiens populaires. Qu’on le veuille ou non, il faudra désormais accepter le fait de voir Pékin commenter les débats démocratiques des grandes puissances, et critiquer les prises de position des candidats.
Les candidats Obama et Romney sont en tout cas prévenus : la Chine avec laquelle ils devront nécessairement traiter à partir de janvier prochain ne sera pas docile, et imposera sans aucun complexe et de plus en plus systématiquement ses conditions. La relation sino-américaine entre de fait dans le temps de la rivalité et les échanges houleux relevés pendant cette campagne électorale pourraient n’en être que le premier acte.
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