En deux jours et des miettes de temps, Vladimir Poutine a recouvert la Crimée du drapeau russe à la faveur d’une opération si bien ciselée qu’elle révèle une longue préparation. Son coup de force a même renvoyé au catalogue des gesticulations les réactions occidentales.
Si Barack Obama, le secrétaire d’État John Kerry, la chancelière Angela Merkel, le président François Hollande, le premier ministre David Cameron, le premier ministre Stephen Harper et autres dirigeants avaient la ferme conviction que l’intégrité territoriale de l’Ukraine mérite autre chose qu’un chapelet de mots, alors ils auraient ordonné ce que leurs prédécesseurs avaient ordonné à l’été 2008 après que l’Armée russe se fut appliquée à amputer la Géorgie : commander à la Turquie, membre important de l’OTAN, de fermer les Dardanelles par où transitent des milliers de tonnes de marchandises destinées à la Russie. Cette requête, les dirigeants de l’époque l’avaient accompagnée d’une assurance : si la Russie intimide la Turquie, alors l’article 5 de la charte de l’OTAN stipulant que toute nation attaquée bénéficiera de l’implication militaire de tous les alliés sera observé.
Car, à l’instar des dirigeants russes qui affirment agir pour protéger les russophones de Crimée, leurs homologues turcs pourraient arguer que le verrouillage des Dardanelles, qu’empruntent évidemment les navires russes, est une réponse aux exactions visant la minorité tatare et musulmane. Quoi d’autre ? Obama et consorts auraient pu assurer que le cahier de sanctions envisagées serait une copie carbone de celui imposé à l’Iran. Pour l’heure, ce n’est pas le cas et ce ne sera vraisemblablement pas le cas.
Si la réaction de l’Europe, des États-Unis et du Canada a été conçue à l’aune de la retenue, c’est que tout un chacun s’est rendu compte que l’offensive décidée par Poutine avait été préparée avec un soin très méticuleux. En fait, on a surtout retenu que la volonté avec laquelle le Kremlin avait mené son attaque était au diapason d’une ambition démesurée : reconstruire l’empire russe, « l’implosion de l’Union soviétique ayant été la pire catastrophe du XXe siècle », dixit Vladimir Poutine. Et cet empire ne sera empire qu’à la condition sine qua non que la Russie arrime l’Ukraine à sa sphère d’influence.
En effet, selon l’analyse signée récemment par l’ex-patron, sous le gouvernement Carter, du Conseil national de sécurité, Zbigniew Brzezinski, « la Russie sans l’Ukraine cesse d’être un empire, mais la Russie avec une Ukraine qui lui est subordonnée devient automatiquement un empire ». Cette analyse, c’est à retenir, un contingent d’observateurs la partage. S’il fallait dire les choses autrement, alors le mot de Lénine conviendrait parfaitement : « Quand la Russie perd l’Ukraine, elle perd la tête. » En d’autres termes, le chef du Kremlin fait ce que, dans ce coin du monde, les autres ne peuvent pas faire. Mais encore ? « Tout État est condamné à faire la politique de sa géographie », avait remarqué Napoléon.
Il est peut-être dans l’ordre du possible que l’annexion de la Crimée soit le premier chapitre d’un objectif ayant pour finalité une balkanisation de l’Ukraine ou, plus précisément, une issue comme celle constatée dans l’ex-Tchécoslovaquie, soit la séparation entre Tchèques et Slovaques, soit la séparation entre une Ukraine de l’Est majoritairement russophone et un Ouest plus bigarré, mais majoritairement enclin à rejoindre l’Europe.
Cet objectif, on ne le répétera jamais assez, est intimement lié à la création officielle de l’Eurasie en 2015 à laquelle Poutine tient mordicus. Celle-ci doit réunir bien des nations de l’Asie centrale et du Caucase. Bizarrement, jusqu’à présent, aucun écho de Pékin n’a été entendu, alors qu’un voisin proche rêve de reconstruire un empire analogue à celui qui fit frémir les Chinois jusqu’à son implosion en 1991. En un mot, quand l’histoire se répète, elle reste tragique, et non farce.
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