En visite à Kiev, Biden cherche une riposte à Poutine
C’est dans un contexte explosif que le vice-président américain Joe Biden est arrivé à Kiev ce lundi, «pour soutenir l’intégrité territoriale» de l’Ukraine. L’accord diplomatique signé jeudi à Genève par le gouvernement ukrainien, la Russie, les États-Unis et l’Union européenne en vue d’amorcer une désescalade semble déjà réduit à néant par la montée des tensions dans les régions orientales, où les forces séparatistes se refusent à quitter les bâtiments pris d’assaut.
Maints experts à Washington soulignent que les dés étaient pipés d’avance, la Russie ayant orchestré depuis le début la déstabilisation rampante du pays, et n’ayant donc aucun intérêt à ce qu’elle cesse. Kiev – relayé par l’Administration américaine – n’a cessé d’accuser le Kremlin d’avoir déployé des troupes spéciales russes, chargées de fomenter les troubles. «Ce qui se passe est une opération militaire bien planifiée… menée sur ordre de la Russie», a expliqué le commandant en chef de l’Otan, Philip Breedlove.
Ce week-end, les Ukrainiens ont produit des photographies d’officiers identifiés comme des officiers du GRU, le service de renseignement de l’armée russe, dont un certain colonel Igor Ivanovitch Strelkov, présent en Géorgie en 2008, puis en Crimée et aujourd’hui à Sloviansk dans l’Est. Beaucoup des «petits hommes verts masqués et en treillis», rencontrés par les journalistes sur les lieux des troubles, parlent un russe parfait et se comportent en militaires aguerris. «Nous ne sommes pas des miliciens, nous sommes les forces spéciales du GRU», ont d’ailleurs fini par avouer trois combattants en treillis à l’envoyé spécial du journal russe indépendant Novaïa Gazeta, Pavel Kanygin.
Ce secret de polichinelle, que seul Vladimir Poutine fait mine d’ignorer – affirmant que la présence de troupes russes en Ukraine est «une foutaise» -, en dit long sur le défi auquel est confronté Barack Obama: trouver une riposte face à une Russie qui a lancé une «guerre secrète» en Ukraine, tout en le niant.
Le défi est d’autant plus colossal que ni l’Amérique ni l’Europe n’avaient vu venir la contre-attaque de Poutine dans son ex-empire, un plan de long terme, apparemment planifié de longue date. Lors de sa conversation télévisée de 4 heures avec la population russe, le chef du Kremlin a utilisé le mot Novorossia (nouvelle Russie), un terme de l’époque tsariste désignant les terres d’Ukraine orientale et méridionale. Ce n’était pas un hasard. Tout un groupe de conseillers officiels du Kremlin a théorisé l’idée d’une partition de l’Ukraine, susceptible de donner naissance à un nouvel État «Novorossia». Derrière le supposé projet de «fédéralisation» de l’Ukraine, c’est cette ambition que semble caresser Poutine. Le ministre des Affaires étrangères polonais Radoslaw Sikorski confiait ce week-end au Washington Post que des parlementaires russes avaient offert à la Pologne de récupérer les terres occidentales ukrainiennes! «La Russie est devenue une puissance révisionniste (…) prête à remettre en cause les frontières et le droit», prévient-il, alarmiste.
Vague de sanctions imminentes
Alors que faire? Pour l’heure, les Américains, qui ont exclu tout engagement direct, privilégient des mesures sans impact immédiat sur le terrain ukrainien, mais censées envoyer un message de fermeté. Ainsi ont-ils décidé le déploiement prochain de soldats américains en Pologne et dans les Pays baltes, une grande première. Selon Peter Baker, du New York Times, Barack Obama serait en train de revenir à une «politique d’endiguement», inspirée de celle de George Kennan à l’orée de la guerre froide, visant à isoler Moscou à défaut de lui faire entendre raison. Dans l’espoir que cet isolement, notamment économique, finisse par révéler la faiblesse intrinsèque du régime russe.
Ainsi Obama, en contact permanent avec ses partenaires européens, prépare-t-il une nouvelle vague de sanctions imminentes. Jusqu’ici, la «riposte atomique» que représenteraient des sanctions massives contre les secteurs clés de l’économie russe, n’a pas été décidée, Washington envisageant de frapper sélectivement certaines compagnies pétrolières – sans aller jusqu’à un embargo total, sur lequel ses partenaires, divisés et vulnérables, hésitent. Biden devrait aussi annoncer une aide substantielle pour réduire la dépendance ukrainienne du gaz russe, en aidant Kiev à faire des économies d’énergie et à développer sa production de gaz non conventionnel. Trop peu, trop tard?, se demandent les faucons à Washington.
Le camp de la fermeté, qui commence à donner de la voix malgré la vague isolationniste qui traverse l’Amérique, appelle aussi à armer l’Ukraine. Pour l’heure, l’Administration Obama n’a fait qu’envoyer 300 000… rations militaires à une armée ukrainienne qui manque de tout, et surtout de moral. «Nous sommes toujours un jour trop tard et un dollar trop court», note le sénateur républicain Bob Corker, frustré et inquiet.
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