François Nordmann revient en profondeur sur le discours de politique étrangère du président américain, le 29 mai dernier
Il vaut la peine de revenir sur le discours de politique étrangère prononcé le 29 mai dernier par Obama (lire LT du 30.05.2014). A la mi-temps de son second mandat, le président américain, qui a mis fin aux guerres d’Irak et d’Afghanistan, a tenu à présenter un bilan de son action en la rattachant aux principes qui le guident. Il a développé les thèmes qu’il avait déjà abordés dans son discours à l’Assemblée générale de l’ONU en septembre 2013: loin d’être en déclin, l’Amérique reste la principale puissance économique, technologique, militaire du monde; elle n’est pas pour autant chargée d’en assurer la police. Elle défendra ardemment ses intérêts, elle reste déterminée à préserver sa part d’influence et veillera à sa sécurité, tout en jouant pleinement le jeu du multilatéralisme. Elle n’entend pas abdiquer sa responsabilité de garant de l’ordre international qu’elle exerce depuis 70 ans. Aucun autre pays n’est en mesure, sinon, d’assurer le leadership dans le monde: en ce sens, elle reste la puissance indispensable.
Les forces armées sont la colonne vertébrale de sa puissance. Mais il n’est pas vrai que chaque problème appelle une réponse militaire. Cette vision a conduit naguère aux pires erreurs politiques. Cependant, les Etats-Unis n’hésiteront pas à recourir à la force, de manière juste et proportionnelle, chaque fois que ses intérêts vitaux seront en jeu – unilatéralement s’il le faut, et sans demander la permission à personne.
Mais quand aucune menace directe ne pèse sur le pays, l’intervention militaire n’est concevable que dans le cadre d’une action collective, mobilisant alliés et partenaires, une fois épuisées les voies de la diplomatie et du droit international, et quelle que soit la pression morale.
Le leadership américain s’est notamment manifesté par la création et le développement d’une série d’institutions internationales destinées au maintien de la paix et au progrès de l’humanité. Il convient maintenant de revoir cette architecture et de moderniser ces organisations. Il faut renforcer l’OTAN et l’ONU, dans leurs fonctions respectives de défense et de maintien de la paix, dans leur capacité d’anticiper.
Les institutions internationales fonctionnent si on les utilise judicieusement: Obama en donne deux exemples. La riposte de l’OTAN, du G7, du FMI, le rôle joué par l’OSCE ont suffi pour faire face aux pressions de la Russie sur l’Ukraine, et permettre aux Ukrainiens de choisir leur avenir sans coup férir. Alors que le programme nucléaire iranien semblait avancer inexorablement, le renforcement des sanctions économiques, allant de pair avec la main tendue de la diplomatie, a fini par ouvrir les perspectives d’une solution négociée, pour la première fois en dix ans.
Pour l’heure, et pour un avenir prévisible, la pire menace est posée par le terrorisme, les filiales décentralisées d’Al-Qaida et d’autres extrémistes. Si le risque d’attaques contre le territoire des Etats-Unis est moindre, le personnel américain à l’étranger est par contre plus exposé. Une nouvelle stratégie s’impose, qui couvrira une zone allant du Sahel à l’Asie du Sud. Un fonds pour le partenariat antiterroriste va être créé, doté de cinq milliards de dollars, destiné aux pays situés en première ligne, notamment le Yémen, la Somalie, la Libye et le Mali.
On hésite à parler d’une doctrine Obama: le propos du président est empreint de ce que l’on a appelé un «pragmatisme progressiste», qui se veut dépourvu d’idéologie. Il trace une voie moyenne, réaliste, entre les isolationnistes et les interventionnistes. Les premiers estiment que les Etats-Unis n’ont pas à s’engager dans des conflits qui ne toucheraient pas directement leur sécurité ou leur prospérité, tels que la Syrie, l’Ukraine ou la Centrafrique. Les seconds, de gauche ou de droite, sont au contraire d’avis que l’Amérique ne saurait se tenir à l’écart de ces questions, car si elle n’est pas prête à utiliser sa force, elle laisse le chaos s’installer et encourage les agresseurs.
Barack Obama relève à juste titre que c’est là une dispute aussi ancienne que les Etats-Unis eux-mêmes: déjà George Washington mettait en garde ses compatriotes contre le risque de se laisser entraîner dans des querelles ou des alliances étrangères. Ce débat pourrait prendre une nouvelle tournure avec la publication, le 10 juin prochain, des mémoires d’Hillary Clinton (Hard Choices). L’ancienne secrétaire d’Etat, qui fut sa rivale pour la présidence où elle ambitionnerait de lui succéder, a plaidé pour une action plus musclée en Syrie. Elle a détecté assez tôt que le «redémarrage» avec la Russie avait échoué…
La dimension de politique intérieure n’est pas absente du discours du président Obama. Il doit gérer une diminution du budget militaire et faire face à ses critiques. Au passage, il prend à partie l’opposition républicaine qui bloque la ratification de la Convention sur le droit de la mer (comment alors réclamer que la Chine la respecte?). Et comment vouloir projeter les valeurs de l’Amérique quand ses adversaires l’empêchent de fermer le camp de Guantanamo?
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