La répression menée par les autorités policières dans les rues de Ferguson au Missouri depuis la mort de Michael Brown contraste avec le traitement que le rancher Cliven Bundy a reçu en avril dernier lorsque lui et ses comparses, armés de fusils d’assaut, ont résisté à la saisie de son bétail par des agents fédéraux. Cette saisie était justifiée par des impôts impayés par Bundy, une somme s’élevant à plus d’un million de dollars, alors que celui-ci profitait des terres que le fédéral met à la disposition de certains éleveurs à un prix plus que modique.
Devant la menace, les agents fédéraux ont reculé. La situation a été désamorcée après une douzaine de jours de confrontation par le shérif du comté. Bundy comme ses acolytes s’en sont sortis indemnes et libres. Malgré la violence et la culpabilité de ceux-ci, les médias conservateurs, Fox en tête, ont appuyé la cause de Bundy et ont récupéré sa rhétorique antigouvernementale et libertarienne affirmant qu’ils résistaient à un gouvernement illégitime et oppressif. Au plus fort de sa popularité, certains politiciens républicains, suivant les médias, ont qualifié Bundy de « patriote ». Le rancher, direct et frondeur, a toutefois perdu tout son capital de sympathie, du moins officiellement, lorsqu’il a étalé son racisme une semaine plus tard en affirmant notamment qu’il se demandait si les jeunes Afro-Américains n’étaient pas mieux de vivre sous le régime esclavagiste du XIXe siècle que sur les subsides du gouvernement actuel.
Comment un homme armé jusqu’aux dents ayant menacé des agents fédéraux et promouvant la révolte populaire a-t-il pu être qualifié de « patriote » alors que les manifestants de Ferguson montrant eux aussi leur remise en question de l’autorité publique, sans armes toutefois, ne le sont pas ?
Aux États-Unis, la couleur de la peau influence non seulement la réaction de la police, mais aussi le discours utilisé par les acteurs, les médias et la classe politique lors d’affrontements publics. En effet, si personne ne qualifie les habitants de Ferguson de« patriotes », il faut dire que les manifestants ne se présentent pas ainsi, car l’imaginaire patriotique américain actuel ne les rejoint pas.
Pour l’instant, les symboles qui peuplent cet imaginaire — pensons aux Minutemen ayant combattu lors de la Révolution ou encore aux cowboys ayant conquis l’Ouest, par exemple — sont monopolisés par la droite blanche masculine se retrouvant notamment dans le Tea Party ou la NRA, ce qui explique en grande partie pourquoi les minorités visibles boudent ces mouvements.
Pour comprendre ce phénomène, il faut remonter à la lutte pour les droits civiques menée dans les années 1960 par les minorités visibles, les femmes, les homosexuels, et surtout à la réaction des années 1970. À ce moment, tous les gains obtenus par ces groupes sont présentés par la droite et ses organes médiatiques comme étant une perte de privilège pour une autre minorité, les hommes blancs de la classe moyenne.
Outre cette perte de privilège, le discours conservateur accuse les bénéficiaires des réformes des années 1960 d’être aux crochets du gouvernement fédéral, et donc, d’être des parasites vivant sur les impôts payés par ces mêmes hommes blancs. Afin de mobiliser sa base électorale, la droite a récupéré tous les symboles patriotiques en les associant à un passé idéalisé dans lequel l’ordre social et la liberté de tous sont assurés et encadrés par l’homme blanc, ce à quoi Bundy faisait référence en parlant de l’esclavage.
Pour ceux ayant obtenu la reconnaissance de leurs droits depuis les années 1960, les symboles traditionnels du patriotisme sont au mieux teintés de paternalisme, au pire de domination et d’exploitation, ce qui explique pourquoi les manifestants de Ferguson ne se réclament pas du patriotisme de Cliven Bundy.
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