The West and the Financing of Terrorism

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Malgré les démentis, plusieurs pays occidentaux, dont la France et les États-Unis, financent indirectement et souvent involontairement des groupes terroristes, soutient l’auteur.

JOCELYN COULON

Directeur du Réseau de recherche sur les opérations de paix, affilié au CERIUM de l’Université de Montréal. Il collabore régulièrement à La Presse Débats.

La petite phrase est presque passée inaperçue. Elle était pourtant explosive. Au cours d’un entretien accordé au New York Times la semaine dernière, le président Obama a reproché à la France de payer des rançons aux terroristes. Et donc de financer le terrorisme.

Paris a nié, et les deux gouvernements semblent s’être entendus pour en rester là afin de ne pas alimenter une polémique qui pourrait être très embarrassante. C’est que la petite phrase du président soulève toute la question du rapport de l’Occident au financement du terrorisme.

L’argent arrive aux terroristes par différents circuits. L’un d’eux est la prise d’otages et les rançons versées pour leur libération. Selon plusieurs sources, la France a versé 58 millions depuis 2008 pour libérer ses ressortissants des mains d’Al-Qaïda au Maghreb. Cette façon de procéder irrite Barack Obama.

«Le président français dit que son pays ne paye pas de rançons aux terroristes, alors qu’en réalité, il le fait», a lancé le président américain. Les Américains, eux, ne paient pas, ce «qui fait que les ressortissants américains sont moins fréquemment pris en otages», a-t-il dit. Et lorsque c’est le cas, ils sont exécutés, comme le monde a pu le constater lors de la décapitation de deux journalistes américains par l’État islamique.

Les États-Unis ont-ils pour autant le monopole de la vertu? Un autre circuit d’alimentation des coffres des terroristes est l’aide officielle accordée à des groupes rebelles en Afrique ou au Proche-Orient. Mercredi, le Congrès a approuvé un plan d’aide aux rebelles syriens «modérés». Que veut dire au juste l’adjectif «modéré» ? Existe-t-il un étalon qui permettrait de mesurer cette modération? Est-on certain que cette aide ne sera pas détournée vers des groupes terroristes, comme cela a été le cas précédemment?

Rapport schizophrénique avec le terrorisme

Les États-Unis clament qu’ils ne financent aucun groupe terroriste. Ne manipule-t-on pas ici le vocabulaire? Ceux qui ont l’histoire en mémoire se rappelleront qu’il y a 30 ans, les rebelles en Afghanistan et au Nicaragua luttant contre les régimes prosoviétiques en place étaient qualifiés de «combattants de la liberté» et recevaient donc de généreux subsides. On a ensuite découvert qu’ils étaient nombreux à être des terroristes membres d’Al-Qaïda et du mouvement taliban ou des bandits et des tueurs liés aux Contras.

Le fait de qualifier une organisation de «terroriste» fait l’objet de controverses et amène aussi son lot d’ambiguïtés lorsqu’il faut lutter contre le terrorisme et son financement. Pour les États-Unis, l’Union européenne et Israël, le Hamas palestinien est une organisation terroriste, mais elle ne l’est pas aux yeux de la Turquie, du Qatar ou d’autres pays qui n’hésitent pas à le financer. La Turquie et le Qatar sont pourtant des alliés de l’Occident. Et des alliés bien utiles, car les Occidentaux, «ne parlant pas» aux terroristes, les utilisent pour passer des messages, négocier la libération d’otages et conclure des accords de cessez-le-feu.

Les Occidentaux vivent un rapport schizophrénique avec le terrorisme. Depuis une vingtaine d’années, ils ont érigé des barrières sécuritaires et bancaires afin de lutter contre son financement et ses filières de recrutement et d’entraînement. En même temps, ces barrières sont d’une grande porosité. Le versement de rançons, le refus de pays arabes alliés de stopper le flot d’argent en direction de certains groupes – terroristes pour les uns, rebelles pour les autres -, et l’incapacité des pays occidentaux à sanctionner leurs alliés «fautifs» (qui, par ailleurs, viennent de leur acheter pour 70 milliards d’armement), ne peut que perpétuer la situation actuelle. À quand une vraie politique contre le financement du terrorisme?

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