Sortir de l’embargo
Absurde, le maintien de l’embargo américain vieux de 55 ans contre Cuba ? Bien entendu. La diaspora cubaine est de moins en moins le monolithe anticastriste qu’elle était, tandis que les signaux en provenance de La Havane sont que le régime prépare le terrain à la levée du blocus. Alors que des voix de plus en plus nombreuses en réclament la suppression aux États-Unis, Barack Obama pourrait risquer le coup et quitter dans deux ans la présidence en canard moins boiteux.
Virus Ebola et embargo américain, quel rapport ? Les États-Unis sont le plus grand bailleur de fonds dans la lutte contre Ebola en Afrique de l’Ouest. Cuba, qui a envoyé là-bas plus de 460 médecins et infirmières depuis septembre, est le plus grand fournisseur de personnel médical. Ils s’en sont mutuellement félicités, récemment. Le secrétaire d’État, John Kerry, a salué la contribution cubaine, au passage. Dans Granma, Fidel Castro a estimé que Washington et La Havane devaient mettre de côté leurs différends, ne serait-ce que provisoirement, pour combattre la pandémie.
C’est ce qu’on pourrait appeler « la diplomatie d’Ebola ». Diplomatie bien insuffisante, au demeurant. Le fait est que les deux principaux pays secouristes pourraient collaborer sur le terrain de manière autrement plus étroite, mais que les États-Unis ne jugent apparemment pas la situation assez grave pour mieux conjuguer les efforts, déplore The New York Times, récemment parti en croisade dans une série d’éditoriaux pour réclamer que soit enfin levé cet embargo nuisible autant qu’inutile contre un régime autoritaire qui donne néanmoins de fragiles signes d’ouverture.
Le fruit est pourtant mûr depuis longtemps. Les voix se multiplient, y compris parmi les républicains, pour appeler à l’abrogation de cette politique antédiluvienne, sinon à d’importantes mesures d’allégement. Dans une lettre ouverte adressée à M. Obama en mai et signée par une cinquantaine de personnalités, John Negroponte, maître d’oeuvre de la guerre des Contras contre le régime sandiniste au Nicaragua dans les années 1980, se prononçait pour une décrispation des relations. C’est dire ! Le patronat américain se montre aussi désormais favorable à un rapprochement, ainsi que d’influents gens d’affaires cubano-américains qui, hier encore, soutenaient mordicus l’embargo. Hillary Clinton, candidate démocrate présumée à la présidentielle de 2016, s’est de son côté prononcée pour une abrogation ; son mari, Bill, s’était toujours refusé à l’envisager.
La vieille garde anticastriste de Miami demeure influente, particulièrement au Congrès, mais cet ascendant s’effiloche au sein de la nouvelle génération de Cubano-Américains. Des sondages indiquent maintenant qu’une majorité d’Américains, y compris parmi les exilés cubains, sont favorables à la normalisation des relations. La critique de l’embargo n’est plus d’office considérée comme un suicide politique.
Si l’embargo a été assoupli avec le temps, notamment au titre des transferts financiers provenant de la communauté cubaine aux États-Unis, il reste qu’il continue de solidement tenir en laisse les échanges commerciaux de Cuba avec l’extérieur et d’étrangler son économie et ses gens. Si ensuite M. Obama ne peut pas entièrement lever le blocus sans l’approbation du Congrès, et donc au prix de complexes tractations partisanes, il pourrait, de son propre chef, faire deux gestes majeurs : rétablir les relations diplomatiques et retirer Cuba de la liste des « pays terroristes » dont font partie notamment l’Iran, la Syrie et le Soudan. Il pourrait également profiter du 7e Sommet des Amériques d’avril prochain, à Panama City, pour rafraîchir ses relations avec l’Amérique latine en acceptant enfin que Cuba y soit invité. À s’accrocher à leur politique anachronique, les États-Unis ont fini par s’isoler eux-mêmes.
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