The Divine Surprise

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La divine surprise

Après un demi-siècle de relations faites de coups fourrés et de colères politiques, les présidents Barack Obama et Raúl Castro ont opté pour la normalisation. De fait, à moins d’une fronde des parlementaires américains, l’embargo, l’arme redoutable, ainsi que les reliquats de la guerre froide devraient être mis entre parenthèses.

Mercredi matin, alors qu’aux quatre coins de la planète on restait tétanisé par la sauvagerie des talibans du Pakistan, le royaume dit des purs (sic), Obama et Castro ont stupéfié le monde en annonçant la normalisation des relations diplomatiques entre les deux pays, accompagnée d’échanges de prisonniers. Signe du soin particulier accordé à la dimension délicate du dossier, il avait été décidé que le Canada serait l’unité de lieu des négociations entre deux des plus vieux ennemis du globe.

Avant qu’une deuxième ronde de discussions ne s’amorce sur un certain nombre de sujets et surtout avant que le Congrès n’étudie et donne éventuellement son aval à la mise en bière de l’embargo, les uns et les autres vont ouvrir des ambassades. Quoi d’autre ? Les deux parties se sont entendues pour lever un certain nombre de restrictions sur la mobilité des personnes ; sur un certain nombre d’opérations financières ; pour rayer le nom de Cuba de la liste des pays parrainant le terrorisme et favoriser l’accès à plus de produits technologiques. Restent dans le flou la liberté d’expression et les droits de la personne.

Dans l’attente d’une suite qui ne saurait d’ailleurs tarder, la première étape du rapprochement entre ces deux pays a ceci de riche en enseignements qu’elle est la traduction logique de gestes politiques et économiques posés à Cuba après le retrait de la scène de Fidel Castro en 2006 pour cause de maladie. Bien évidemment, ces faits ont produit leur lot de répercussions politiques, il va sans dire, mais aussi culturelles, aux États-Unis en général et en Floride en particulier. Détaillons.

Lorsqu’il a hérité du pouvoir au milieu de la décennie antérieure, Raúl s’est empressé d’observer la loi politique des petits pas qui, une fois emboîtés les uns dans les autres, fondent une réforme du pays qui ne dit pas son nom. Toujours est-il que le cadet de la famille Castro a assoupli tout d’abord les lois migratoires ; il a privatisé une bonne proportion des terres agricoles ; il a modernisé le code fiscal ; il a réduit passablement le nombre d’emplois publics et donc permis l’exploitation d’un certain nombre d’activités par le privé ; il a ouvert les portes du crédit aux banques non publiques ; il a libéralisé partiellement l’immobilier, etc. Bref, dans la foulée de ces gestes, les mots décentralisation, imputabilité et institutionnalisation n’étaient plus tabous. D’autant que, comme préalable à ces secousses, Raúl Castro avait martelé ces mots : « On réforme ou on coule. »

Aux petits pas évoqués, il faut maintenant greffer une décision carrément macropolitique. En 2013, la persistance des éclats économiques produits par la crise de 2008 a convaincu Castro qu’au nom du principe de réalité, il faut s’employer à ce que la part du privé dans la confection du PIB atteigne les 50 % d’ici 2018. Ce faisant, le président cubain a fait plus qu’un appel du pied en direction d’Obama car, sans la fin de l’embargo, il lui est impossible d’obtenir satisfaction.

Pour sa part, en signant la normalisation diplomatique et en se disant pour l’arrêt des punitions commerciales qui ont coûté, selon les calculs de La Havane, au-delà de mille milliards depuis leur instauration le 7 février 1962, le président Obama vient d’accomplir un coup d’éclat politique. Chose certaine, entre son entente avec la Chine sur le réchauffement climatique, sa réforme de l’immigration, la prolongation des négociations avec l’Iran et l’annonce d’hier, Obama s’affiche comme la contradiction du canard boiteux, le « lame duck ».

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