Les Etats-Unis auront-ils besoin de leur taux plancher?
Mathilde Farine
Depuis juin, le dollar a gagné 24%. Il est à son plus haut niveau depuis plus de onze ans. C’est le prix que l’économie américaine paie pour sa bonne santé.
«Nous aurions préféré qu’une autre banque centrale, comme la Réserve fédérale américaine, tente l’expérience avant nous», glissait, il y a quelques jours, un banquier genevois, à propos du taux plancher entre l’euro et le franc. Car, si l’action de la Banque nationale suisse (BNS) avait été globalement saluée lors de l’introduction de la mesure, les analystes ont été nombreux à critiquer l’absence de stratégie de sortie et l’impression de céder dans la panique.
Depuis la crise financière, c’est la Fed qui a joué les apprentis sorciers. Certes, le Japon avait déjà fait quelques expériences pour sortir d’une décennie de déflation, mais l’échelle des interventions n’était pas la même. L’institution américaine a lancé plusieurs programmes de rachats d’actifs (QE) pour soutenir l’activité dans le sillage de la faillite de Lehman Brothers, qui a en partie inspiré le plan que vient d’entamer la Banque centrale européenne (BCE).
On ne pourra pas déterminer ici si, véritablement, le «QE» de la Fed a permis de redresser l’économie américaine après la plongée de 2008. Mais le fait est qu’elle se porte bien mieux que les pays développés en général. La croissance a été de 2,2% au dernier trimestre de 2014, après un bond de 5% au troisième et elle est attendue à un niveau supérieur en 2015 (3,6% selon le Fonds monétaire international), alors que l’Europe sort toujours difficilement de la stagnation économique. Vendredi, les chiffres du marché de l’emploi ont montré une poursuite de l’embellie. Le taux de chômage a atteint 5,5% en février – son niveau le plus bas depuis 2008 –, alors qu’il se montait à 5,7% le mois précédent et que les analystes visaient 5,6%. De plus, les créations de postes ont continué à un rythme élevé.
Les taux de change répondant aussi en grande partie à l’évolution des fondamentaux économiques d’un pays, les Etats-Unis commencent à payer le prix de cette bonne santé relative avec un dollar qui ne cesse de se renforcer. Une fois la prise du QE débranchée, le billet vert a amorcé en 2014 une hausse qui continue depuis le début de l’année. Si on avait imaginé que les marchés avaient anticipé – à raison – une intervention massive de la BCE, et que tout cela était intégré dans les cours, force est de constater que ce n’était pas le cas. Mercredi, la chute de l’euro continuait. L’euro valait 1,0538 dollar. Et il se renforce aussi face au franc, retrouvant hier son niveau d’avant le retrait du taux plancher, le 15 janvier dernier.
Le dollar n’avait plus été aussi fort depuis plus de onze ans. Depuis juin, la hausse a été de 24%. De quoi imposer un régime drastique aux marges bénéficiaires des exportateurs. La banque Goldman Sachs a mis au point un modèle permettant de calculer l’impact de la hausse de la monnaie sur les bénéfices des entreprises de l’indice S&P 500. Ainsi, une appréciation de 10% du billet vert face à un panier de monnaies implique une réduction du bénéfice de 3 dollars par action. En moyenne, selon un consensus réalisé par Bloomberg, les sociétés américaines réaliseront un bénéfice de 123,52 dollars par action cette année. Les analystes tablent sur une baisse de 5,1% des profits ce trimestre par rapport au trimestre précédent, où la hausse avait été de 4,4%. S’ils disent vrai, ce serait le premier recul depuis 2009.
Pour ne rien arranger au tableau, les perspectives d’une hausse des taux d’intérêt par la Réserve fédérale américaine stimulent elles aussi l’appréciation du dollar. Janet Yellen, la présidente de l’institution, pourrait lancer le premier tour de vis depuis la crise dès l’été.
L’économie américaine n’est pas encore étranglée par la vigueur de sa monnaie. Et elle ne le sera jamais autant que la Suisse, qui dépend très largement de ses entreprises exportatrices. Mais le rebond de son économie a été largement dû à cette industrie, qui a profité d’un dollar faible au cours de ces dernières années. A cela s’ajoute le risque de déflation: la hausse des prix est déjà limitée par la chute des prix du pétrole, elle le sera encore plus par la baisse des prix des biens importés.
Dans ce contexte, les Etats-Unis pourraient rêver de leur propre taux plancher, entre le dollar et les monnaies de ses partenaires économiques principaux. Evidemment, les difficultés qu’a eues la BNS à garder son taux plancher sans que son bilan ne prenne des proportions stratosphériques donnent une idée de celles qu’aurait la Fed pour contrôler la valeur du dollar. Une grande partie des 4000 milliards qui changent de mains chaque jour sur le marché des devises concerne la monnaie américaine. Influencer son évolution nécessiterait donc des montants astronomiques. Sans garantie de réussite. Et c’est bien là le problème: la monnaie est une partie quasi incontrôlable de l’équation économique. Les pays doivent s’y résoudre, pour des périodes indéfinies et récurrentes.
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