Cultural Divorce

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Divorce culturel

Il y a encore dix ans, il allait de soi pour les républicains qu’ils sortiraient gagnants des urnes en défendant des positions antigaies. Le tollé soulevé par l’Indiana et sa loi sournoise sur la liberté religieuse vient défaire cet automatisme. Il met en évidence le divorce — salutaire — qui s’est opéré à ce sujet entre la droite conservatrice et l’opinion publique américaine.

Loi sournoise en ce qu’elle n’autorisait pas précisément les individus et les commerces à discriminer la communauté gaie et lesbienne. Mais elle en ouvrait la porte au nom de la défense de la liberté de religion — et donc de certaines valeurs. Le gouverneur républicain de l’Indiana s’est résigné à promettre de « clarifier » sa loi pour la « restauration de la liberté de religion » devant l’extraordinaire vague d’opposition qu’elle a soulevée non seulement au sein de la société civile, mais aussi dans la grande entreprise mobilisée par les Walmart et Apple. Dans la foulée, le gouverneur de l’Arkansas, dont le gouvernement venait d’adopter une loi similaire, a lui aussi reculé.

Le gouverneur de l’Indiana a eu beau nier avoir des desseins discriminatoires, il reste que les principaux promoteurs de la loi ont bien fait savoir qu’il s’agissait de protéger « les Églises et les entreprises chrétiennes de ceux qui soutiennent le mariage gai ». Le projet est limpide. L’adoption de lois sur la liberté religieuse remonte au début des années 1990 aux États-Unis, d’abord par le gouvernement fédéral, puis dans une vingtaine d’États. Au départ, elles étaient avant tout destinées à protéger les minorités religieuses, nommément les pratiques de communautés amérindiennes impliquant le recours à des psychotropes. Et leur champ aura souvent été encadré par des législations antidiscriminatoires — ce qui n’était pas le cas en Indiana et en Arkansas. Voici donc que, plus récemment, les organisations conservatrices se sont mises à tenter de se servir de ces lois pour promouvoir leur intolérance, dans un contexte social où, en fait, les droits des homosexuels sont de plus en plus reconnus et acceptés.

L’opposition au mariage entre conjoints de même sexe a grandement aidé l’ex-président George W. Bush à remporter la présidentielle de 2004, qu’il avait gagnée d’extrême justesse. Question de mobiliser leur électorat, les républicains avaient fait tenir des référendums sur le mariage gai en même temps que le scrutin présidentiel dans 11 États clés, dont celui, absolument crucial, de l’Ohio, où M. Bush avait récolté les 20 votes électoraux sur le fil du rasoir avec 51 % des voix.

Les temps ont changé, manifestement. Le mariage gai est aujourd’hui légal dans 37 États et dans le District de Columbia. Métamorphose culturelle, donc, que les « experts » veulent en bonne partie attribuer au rôle des médias sociaux. Les électeurs sont de plus en plus nombreux, y compris parmi les républicains modérés, à décrocher face aux politiciens qui s’attaquent à la communauté LGBT, prétendent les stratèges politiques. Changement culturel, donc, mais qui n’a pas empêché les principaux candidats présomptifs à l’investiture républicaine en vue de la présidentielle de 2018 — y compris le meneur Jeb Bush — de donner leur appui à la loi de l’Indiana, en niant qu’elle puisse être discriminatoire. C’est dire à quel point le Parti républicain continue malgré tout d’obéir à des ressorts d’une autre époque et de s’appuyer sur son noyau électoral traditionnel — blanc, chrétien, plus âgé. Le sol finira-t-il jamais par se dérober sous ses pieds ?

Ce qui ne veut pas dire, cependant, que les démocrates ont l’esprit radicalement plus ouvert. S’ils s’emploient aujourd’hui à marquer des points sur cette question face aux républicains, il reste qu’ils ont eux aussi été longtemps frileux, de peur de s’aliéner des électeurs. Cette frilosité comprend l’opportuniste Hillary Clinton, qui jusqu’à 2013 était opposée au mariage gai.

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