Oser intervenir sur l’Afrique
Le Burundi, petit pays d’Afrique de l’Est, est au bord de l’implosion. Il faut intervenir, implorent les membres de sa diaspora. En Occident, plusieurs hésitent: non pas forcément par indifférence, mais parce qu’on ne sait plus comment intervenir sans provoquer des polémiques.
La formulation avait beau se vouloir diplomatique, John Kerry a asséné son analyse avec une brutale franchise: «Nous sommes profondément préoccupés par la décision du président Pierre Nkurunziza qui va à l’encontre de la Constitution de ce pays.» Le désaveu est cinglant. La prise de position est claire: les États-Unis n’approuvent pas la candidature du président burundais pour un troisième mandat. Depuis l’annonce de cette candidature, le petit pays voisin du Rwanda a basculé dans une spirale de violence qui prend des proportions alarmantes. Hier encore, la police tirait à balles réelles sur des manifestants.
De la déclaration de John Kerry à une intervention américaine (sous quelque forme que ce soit), il y a un pas non encore franchi. Qu’à cela ne tienne, cette prise de position est une remarquable rupture avec la prudence verbale qui est devenue la norme dans les interventions occidentales dans les affaires africaines.
«Pas une retenue, m’a objecté un diplomate, plutôt une déception depuis la parole trahie par les Africains après Kananaskis…»
La promesse de Kananaskis
En juin 2002, à Kananaskis, en Alberta, les leaders du G8 sont priés d’appuyer un nouveau plan d’aide au développement de l’Afrique, présenté par des dirigeants africains eux-mêmes. Élément central de ce programme: un mécanisme de jugement des dirigeants du continent par leurs pairs, avec l’engagement de promouvoir la bonne gouvernance.
Quelques mois à peine plus tard, le président du Zimbabwe, un dictateur ubuesque, enfonçait son pays encore plus profondément dans le déni de la démocratie et décidait l’expropriation des fermiers blancs de leurs terres. Le forfait est caricatural. Les dirigeants africains ne devaient avoir aucune difficulté à se dissocier d’un des leurs qui faisait injure aux règles de droit les plus élémentaires. En lieu et place, plusieurs lui apporteront leur appui en prétextant que les critiques occidentales constituaient une ingérence inspirée par un néocolonialisme déguisé. «La hantise d’être qualifié de néocolonialiste est devenue un frein inavoué de plusieurs dirigeants occidentaux.»
Ainsi, sur le continent africain subsisteront deux principaux courants de discours complaisants: les relativistes, qui disent que l’Occident a ses propres défauts qui délégitiment toute critique de l’Afrique, et les «compatissants», qui excusent les égarements du continent africain par les blessures (esclavage, colonialisme, etc.) du passé. On pourrait ajouter les «complotistes», qui absolvent les Africains de toute responsabilité en arguant une conspiration planétaire ou des puissants pour nier au continent le droit à son bonheur.
Toute intervention honnête et efficace en Afrique devra passer par une libération de la parole critique. Après tout, qui aime bien châtie bien aussi.
Se pourrait-il que dans sa remarque John Kerry ait enfin lancé une nouvelle ère où l’on refusera de voir l’Afrique mourir dans notre indifférence polie? Espérons-le. Pour le Burundi cependant, il est déjà urgent de dépasser l’étape des discours.
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