CUBA
Un bon investissement
Cuba est une île située à 150 km des côtes américaines et, depuis plus d’un demi-siècle, un abcès sur les relations des États-Unis avec l’Amérique latine. En le crevant, le président Obama pose un geste aussi tardif que majeur. Au Congrès maintenant d’en finir avec l’embargo.
La démocratie et les droits de la personne ont le dos large en diplomatie. Il était attendu que Barack Obama ferait ostensiblement leur promotion mercredi en annonçant que Washington et La Havane rétablissaient officiellement leurs relations diplomatiques et rouvraient leur ambassade. L’avancée est historique, le mot n’est pas trop fort, encore qu’il ait lieu d’y apporter un bémol. Il reste que les États-Unis n’ont cure en général de traiter avec des régimes répressifs. Au-delà des legs de la guerre froide et des considérations électorales floridiennes qui menottaient les espoirs de dégel, Washington aura un peu beaucoup été agacé par la résistance de ce petit pays à son assujettissement aux intérêts américains. Si à Cuba s’est imposé un État qui ne tolère pas la liberté de conscience, il se trouve en parallèle qu’y a mûri avec le temps un peuple doté d’une belle indépendance d’esprit.
Les ambassades seront donc rouvertes sous peu. Premier secrétaire d’État américain à y mettre les pieds depuis 1945, John Kerry passera par La Havane d’ici quelques semaines. Il est ensuite question que le président Obama se rende à Cuba l’année prochaine. Il va de soi que la question cubaine sera un thème important des élections législatives et présidentielle de 2016, comme il est du ressort du Congrès d’achever le rapprochement en complétant la normalisation diplomatique annoncée par la Maison-Blanche par la levée de l’embargo économique en vigueur depuis 1962.
Sur cette question comme sur bien d’autres (entente nucléaire avec l’Iran, droits des homosexuels, droit à l’avortement, accès au système de santé…), les républicains, qui sont majoritaires au Congrès, nagent désespérément à contre-courant de l’opinion publique américaine, y compris de celle des Américains d’origine cubaine. Démagogue, Jeb Bush, candidat républicain à l’investiture présidentielle, a soutenu que le geste d’Obama « va légitimer la répression à Cuba », alors qu’il est pourtant dans l’ordre des choses que l’embargo soit levé.
De fait, le blocus économique est un gruyère de plus en plus troué. Bien que renforcé en 1996 par la loi Helms-Burton, il a tourné au salmigondis. M. Obama a deux fois allégé l’embargo au maximum de ce qu’il lui était possible de faire sans le feu vert du Congrès. Avant lui, en 1998, le président Bill Clinton avait aussi décrété des mesures d’allégement. Avec le résultat que les États-Unis sont redevenus l’un des premiers partenaires commerciaux de l’île, en particulier pour l’agroalimentaire, et que près de 100 000 Américains visitent Cuba chaque année.
L’histoire retiendra peut-être du président sortant les efforts qu’il aura faits pour inscrire le rôle des États-Unis dans une conception plus multilatéraliste du monde. C’est dans cet esprit que s’ouvre un « nouveau chapitre » sur le plan diplomatique, pour reprendre les mots de M. Obama, dans les relations des États-Unis avec Cuba. Et, par extension, avec l’ensemble de l’Amérique latine, pour peu que Washington n’aille pas commettre, par mauvaise habitude, la même erreur avec le Venezuela. Du reste, l’embargo contre La Havane constitue un irritant très inutile que les États-Unis avaient tout intérêt à faire disparaître dans leurs relations avec leurs partenaires occidentaux, dont le Canada, qui font des affaires avec Cuba.
Le commun des Cubains, dans tout ça ? Les Américains ont tout de suite commencé à débarquer, commercialement. Le mouvement s’accélérant, le pays va sans doute vivre, à moyen terme, un boom immobilier — aux dépens des moins nantis, bien entendu, mais aussi de l’environnement. La Havane va se transformer en grand chantier de construction, pour le plus grand bonheur du Cuba des riches que cette embellie va engraisser. Comment par ailleurs Raúl Castro va-t-il s’y prendre pour empêcher ce dégel d’induire des ouvertures politiques ? Difficile de croire, vu notamment la proximité géographique de l’île avec les États-Unis, que le régime cubain pourra longtemps garder l’opposition au cachot… Tout cela pour dire que les Américains font, grâce à M. Obama, un fort bon placement.
Leave a Reply
You must be logged in to post a comment.