Il y a quelques années, une organisation non gouvernementale anglaise, Reprieve, a fait appel aux services du rappeur Mos Def pour illustrer la procédure d’alimentation forcée utilisée à la prison militaire américaine de Guantánamo.
Dans une vidéo vue des centaines de milliers de fois en ligne, l’artiste américain est sanglé sur une chaise et se contorsionne en vain tandis qu’on lui introduit dans le nez un tube devant permettre d’administrer un liquide nutritif. Il finit en larmes, plaidant auprès de ses geôliers pour qu’ils arrêtent.
La mise en scène avait suscité l’ire du ministère de la Défense américain, qui avait accusé ses auteurs de grossièrement déformer la réalité.
La population américaine aura peut-être enfin l’occasion de se faire sa propre opinion à ce sujet.
Une juge fédérale vient en effet d’ordonner la diffusion de vidéos de séances d’alimentation forcée réelles ayant été tournées par des soldats au sein de la prison, située dans l’île de Cuba.
Leur existence a été mise en lumière l’année dernière après qu’un détenu d’origine syrienne, Abou Dhiab, qui était en grève de la faim depuis des années, eut présenté une requête pour ne plus être nourri sous la contrainte.
Ses avocats affirment que les séances d’alimentation forcée, souvent précédées d’une intervention musclée pour « extraire » les prisonniers rétifs de leur cellule, constituent une forme d’intimidation et visent à les convaincre de renoncer à leurs moyens de pression.
L’administration américaine maintient que le personnel de Guantánamo veut simplement éviter que les détenus mettent fin à leurs jours. M. Dhiab – qui n’a jamais été accusé formellement de quoi que ce soit – a été relâché en décembre et vit aujourd’hui en Uruguay, faute de pouvoir retourner dans son pays d’origine.
L’homme de 46 ans veut néanmoins que les vidéos dans lesquelles il figure soient vues pour faire la lumière sur ce qui se passe à Guantánamo.
Le ministère de la Justice américain estime que leur diffusion enflammerait le monde musulman et mettrait en danger les soldats américains actifs en Irak ou en Afghanistan.
L’argument est jugé spécieux par la juge Gladys Kessler, qui exige que les vidéos soient rendues publiques rapidement.
Reprieve affirme pour sa part que la véritable préoccupation du gouvernement est d’empêcher la diffusion d’images choquantes qui changeraient « du jour au lendemain » la teneur du débat sur Guantánamo aux États-Unis.
La situation générale des prisonniers devrait suffire en soi pour soulever un élan d’indignation durable. La quasi-totalité est détenue depuis plus de 10 ans, sans accusation ni procès, dans un no man’s land qui semble sorti tout droit du cerveau de Kafka.
Le président américain Barack Obama a déclaré récemment que son plus grand regret, par rapport à son premier mandat, était de ne pas avoir fermé la prison militaire immédiatement.
Depuis quelques mois, Washington a accentué ses efforts pour renvoyer dans leur pays, ou transférer vers des pays tiers, les détenus les moins problématiques. Mais il en reste encore plus d’une centaine.
Plutôt que de tenter de bloquer la diffusion de vidéos susceptibles de galvaniser ses compatriotes, le chef d’État américain et son administration devraient y voir un incitatif additionnel pour clore définitivement ce triste chapitre.
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