Wall Street, Chine, pétrole de schiste… Le mensonge tend vers l’infini
▪ Le dernier livre de Daniel Cohen — Le monde est limité, le désir est infini — suscite de nombreux débats. Parmi les formules les plus emblématiques, les lecteurs ont retenu :
“La croissance est la religion du monde moderne […] elle est l’élixir qui apaise les conflits, la promesse du progrès indéfini”.
L’auteur propose de réfléchir à la mise en oeuvre d’une société plus juste, à défaut d’un monde plus riche.
Mais le débat sur la croissance a déjà volé en éclat, dynamité de l’intérieur par le système financier et les médias “aux ordres” — ceux qui sont chargés de rabâcher l’évangile de la Pensée unique.
En effet, les six années de “reprise” que nous venons de vivre n’ont enrichi que les 1% les plus riches (ils ont capté 91% de la richesse additionnelle). Au sein même de ce groupe hyper-privilégié, ce sont les 0,01% du sommet de la pyramide qui ont mis la main sur 50% des centaines de milliards que se partagent les 1%.
Ceux-là ont désormais les moyens financiers de gagner toute les élections, de racheter tous les médias qui ne chanteraient pas les louanges des banques centrales et du système économique devenu le plus inégalitaire depuis le début de la révolution industrielle.
La “théorie du ruissellement” qui servait d’alibi à l’enrichissement sans cause des plus riches apparaît aujourd’hui pour ce qu’elle est : une des plus grandes impostures du 21ème siècle.
Plus les riches s’enrichissent, plus les pauvres — et plus grave encore, les classes moyennes — s’appauvrissent depuis 2009.
Parce que la sacro-sainte croissance de l’après-Lehman, 91% de l’humanité n’en a jamais vu la couleur !
La plupart des occupants de la planète Terre sont informés qu’elle existe quelque part (voire de l’autre côté de la rue) parce que c’est écrit dans le journal… mais ils seraient incapables de dresser l’inventaire de ce qui va mieux.
Aux Etats-Unis, tout a empiré — sauf pour Wall Street, sauf pour le Pentagone et son principal fournisseur, la Silicon Valley.
Pour l’Américain lambda, les dernières années écoulées se résument à l’explosion du coût de la scolarité, de la santé, de la dépendance, ainsi qu’à une précarisation des salariés et au morcellement de l’emploi.
Pour Wall Street, c’est un triplement du prix des actifs boursiers et le retour des introductions en bourse “milliardaires”.
▪ Miracles et introductions milliardaires
Les investisseurs se voient proposer des valorisations à un ou plusieurs milliards de dollars concernant des entreprises ne réalisant aucun chiffre d’affaires, parfois sans le moindre brevet exploitable (mais pauvre benêt… si on lève des fonds, c’est justement pour financer la future invention miracle !).
Qu’une “entreprise” qui ne rémunère que quelques salariés et/ou une équipe de chercheurs s’introduise en bourse avec une valeur supérieure à celle d’une firme centenaire et qui emploie des dizaines de milliers de salariés ne choque pas Wall Street. On achète “une promesse d’avenir : c’est peut-être le prochain Netflix ou le prochain Tesla !
Les théoriciens du “miracle sorti du fond du garage” raisonnent comme si les centaines d’entreprises pérennes et leurs millions de salariés ne possédaient aucune équipe de chercheurs et n’avaient aucunement l’ambition d’exploiter des brevets les rendant encore plus riches !
Il y a 6 ans, la “nouvelle révolution” qui a tiré l’Amérique de la récession, c’était le pétrole de schiste. Une révolution entièrement financée à crédit et dont la survie dépendait d’un cours du baril durablement ancré au-dessus des 100 $.
Le pétrole à 100 $ nous a d’ailleurs longtemps été présenté comme un plancher, une rampe de lancement des cours vers les 150 $ puis les 200 $. L’avidité énergétique de la Chine était réputée sans limites.
Rendez-vous compte : le pays ne compte qu’une voiture pour 18 habitants, rien qu’un doublement du parc automobile chinois en 10 ans garantissait l’envol du prix de l’essence et du diesel vers des territoires inconnus.
En réalité, le pétrole de schiste a connu le développement que nous connaissons aux Etats-Unis uniquement parce que l’argent était surabondant et gratuit.
Les financiers ont embrassé des prévisions de rentabilité hédonistes, tenues pour quasi-certaines, et dont Wall Street découvre qu’elles sont totalement erronées.
Wall Street feint également de découvrir que la croissance chinoise n’est pas voisine de 7%… mais probablement de l’ordre de 3,5%. De son côté, Pékin se lance dans un activisme qui a toutes les caractéristiques d’une fuite en avant.
Sauf que la Chine était déjà le pays le plus actif en termes de stimulus monétaire et budgétaire depuis 2009. Plus elle injecte, plus elle soumet son économie à une série d’électrochocs, plus son PIB se contracte, plus les capitaux des oligarques, des nouveaux riches, des profiteurs, s’enfuient vers l’étranger.
L’accaparement par les élites et la non-redistribution de la richesse en Chine vers les classes moyennes constitue l’un des plus cinglants démentis à la “théorie du ruissellement”. Mais là, nous parlons d’un pays communiste où la corruption fait des ravages.
▪ Savons les apparences… tant que c’est encore possible
Dès 2013, il devint tout aussi évident — en Occident cette fois – que les assouplissements quantitatifs n’irriguaient pas l’économie réelle mais la “machine à faire des bulles”, au profit quasi exclusif des seuls 1%.
Les grands argentiers nous expliquent qu’ils ont persévéré… car c’était la seule stratégie possible (au nom du fameux principe : “il n’y pas d’alternative”).
Pour bien comprendre le véritable sens profond de cette phrase, il suffit de rajouter : “aux yeux des marchés”.
Ces derniers n’ont même pas pris la peine de sauver les apparences en laissant l’argent des banques centrales percoler un peu dans l’économie réelle…. histoire de donner un semblant de crédit à l’alibi du “ruissellement”
Sous l’impulsion des banques centrales, l’épargnant — qui assume le véritable risque final du refinancement des Etats et des établissements de crédit “systémiques” — s’est vu de surcroît privé du moindre rendement… en l’échange de zéro croissance (en Europe et désormais au Japon) et de la précarisation du marché du travail.
Les cyniques en ont conscience depuis longtemps. S’ils vendent aujourd’hui — et ce n’est qu’un début — c’est tout simplement parce que le mensonge concernant les bienfaits du QE ne prend plus. Il est usé jusqu’à la corde.
Le mythe de l’infaillibilité des banques centrales (otages consentants des marchés) vient d’être carbonisé par le krach boursier chinois puis la récession brésilienne, canadienne, australienne, malaisienne, italienne, finlandaise, etc.
Quel nouveau mensonge, quelle nouvelle légende urbaine destinée à enfumer les citoyens/épargnants, va prendre le relais ?
Nous penchons pour l’adoption d’un discours justifiant un QE4 de la Fed, un QE étendu de la BCE, un QEno-limit de la Banque du Japon… Cela n’aura pour seule vocation que de permettre aux initiés de transférer — aussi longtemps que possible – le maximum de risque et de pertes potentielles aux compagnies d’assurance et aux particuliers.
Il existe quatre précédents fameux au cours des 25 dernières années : les actions japonaises en 1990, les dettes émergentes en 1998, les dot.com en 2001 et les subprime en 2008.
En 2015, ce sera très différent… puisque les quatre facteurs de dislocation précédents se trouvent enfin réunis !
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