La mort d’un ultra
Antonin Scalia est mort samedi au Texas, dans un hôtel-ranch de luxe. Il s’agissait d’un des hommes les plus puissants des États-Unis, de ceux qui font — et surtout défont — les lois, même lorsqu’ils ne prétendent qu’interpréter les textes.
De ceux qui décident, par exemple, si la réforme de l’assurance maladie de Barack Obama doit vivre ou non. De ceux qui peuvent même trancher lors d’une élection présidentielle, comme ils le firent en 2000, accordant la victoire à George W. Bush, alors qu’on recomptait toujours les votes en Floride et qu’Al Gore pouvait encore espérer gagner.
Situé à la droite de la droite d’une Cour suprême de neuf membres, cet homme considérait la Constitution des États-Unis comme un monument absolu, une chose « morte » (sic) et intangible dans laquelle réside toute vérité pour les siècles des siècles. Philosophie fondamentaliste, appelée « originalisme ».
Cet homme à l’esprit polémique, toujours prêt à une bonne bagarre, s’est parfois retrouvé du côté majoritaire de la Cour sur des sujets cruciaux, comme le port d’armes. Mais lorsqu’il perdait, il pouvait écrire qu’« un système de gouvernement qui soumet le peuple à un comité de neuf juges non élus ne mérite pas d’être appelé une démocratie ». Critique émise lorsque le score habituel de 5-4 ou 6-3, sur une grande question de société, ne faisait pas son affaire : ce qui est arrivé quand même assez souvent, puisque Scalia représentait les positions extrêmes.
Du droit à l’avortement au mariage homosexuel, du port d’armes (intouchable) à l’exécution (admissible) des handicapés mentaux ou des mineurs, cet homme s’est opposé avec véhémence, et un dédain marqué pour la partie adverse, à tout ce qu’il assimilait au progressisme des années 1960, 70, 80, vu comme une abomination qu’il fallait à tout prix renverser.
Dans ses furieuses dissidences, écrites lorsqu’il se retrouvait du côté minoritaire, cet homme était capable de trouver dans la Constitution américaine une justification aux lois anti-sodomie de certains États, ou encore de se déchaîner contre un jugement obligeant les policiers à lire l’énoncé de leurs droits aux prisonniers !
La disparition d’Antonin Scalia pose immédiatement la question de son remplacement. La nomination des juges de la Cour suprême est une prérogative du président. Mais elle doit aussi être approuvée par le Sénat.
C’est là que le bât blesse : en cette année électorale marquée par l’extrémisme et la démagogie, à des niveaux encore jamais atteints, les républicains — et notamment, les principaux candidats à l’investiture présidentielle — ont annoncé en fin de semaine qu’ils feraient de l’obstruction systématique à toute nomination proposée par Barack Obama.
Le chef de la majorité républicaine au Sénat, Mitch McConnell, n’a pas caché ses intentions : « Cette vacance ne doit pas être remplie avant que nous n’ayons un nouveau président. » Quant au candidat Ted Cruz, champion de la droite religieuse, il a déclaré : « Nous n’abandonnerons pas la Cour suprême pour toute une génération en laissant Barack Obama nommer un autre juge de gauche. »
Ces déclarations belliqueuses ramènent au premier plan quelques dures réalités.
D’abord, la Cour suprême aux États-Unis, sa composition, ses tendances idéologiques, ses décisions : voilà une chose politique, voire politicienne, alors qu’elle est devenue le lieu décisionnel ultime des grandes réformes, ce qu’on a appelé « le gouvernement des juges ». Chose que critiquait Antonin Scalia… tout en la pratiquant !
Il est par exemple remarquable qu’il ait fallu, en juin 2012, le retournement inattendu d’un John Roberts, juge réputé conservateur, sur le thème de l’obligation de s’inscrire à l’Obamacare (et sur les amendes liées à cette obligation)… pour que finalement le président puisse pousser un soupir de soulagement et voir sa réforme phare confirmée.
Ce jour-là, une Cour non élue, pire : un homme — et un seul, puisqu’on savait d’avance où logeaient idéologiquement les huit autres juges — avait entre ses mains le sort de l’assurance maladie aux États-Unis ! Pouvoir exorbitant, pouvoir politique, et pouvoir exercé par un homme avec ses tendances et opinions, qui savait qu’il allait livrer un jugement politique.
Alors, qui nommer aujourd’hui pour remplacer l’illustre réactionnaire disparu ? Un libéral, mais qui va se faire immédiatement descendre par les sénateurs enragés ?
Voilà la promesse d’une belle foire d’empoigne, dans une année qui déjà n’en manque pas.
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