La visite, sans précédent depuis 1928, d’un président américain à La Havane expose Obama à des critiques et le régime castriste au changement. Il ouvre aussi la perspective de nouveaux contrats à l’industrie touristique.
En posant le pied, dimanche, sur le tarmac de l’aéroport de La Havane, Barack Obama devait ressentir le poids de l’histoire et savourer le symbole de l’instant. Pour la première fois depuis la visite de Calvin Coolidge en 1928, un président américain en exercice se trouve à Cuba. Une visite de trois jours pour sceller le rapprochement entre les deux voisins ennemis de la guerre froide.
Le premier président noir des Etats-Unis, qui effectue le voyage en compagnie de sa femme, Michelle, et de leurs deux filles, rêvait-il de fouler le sol cubain depuis son accession à la Maison Blanche ? En janvier 2009, lors de son discours d’investiture, il avait fait l’éloge d’une diplomatie de l’ouverture, rompant avec «l’axe du mal» des années Bush. A la lumière des événements d’aujourd’hui, cette phrase revêt un sens particulier : «A ceux qui s’accrochent au pouvoir par la corruption, la tromperie, en faisant taire l’opposition, sachez que vous êtes du mauvais côté de l’histoire, mais que nous vous tendrons la main si vous êtes prêts à desserrer le poing.»
Entre Washington et La Havane, les poings se sont progressivement détendus, ouvrant la voie à une série de premières fois. Première poignée de main entre Barack Obama et Raúl Castro lors des obsèques de Nelson Mandela en 2013. Première conversation téléphonique, fin 2014, pour officialiser le rapprochement entre les deux pays. Premier entretien formel lors du sommet des Amériques, à Panama, en avril 2015. Si l’on prend au mot le discours d’Obama en 2009, Cuba reste pour l’heure du mauvais côté de l’histoire. Régime autoritaire, liberté de la presse bafouée, opposition réprimée : l’ouverture politique demeure marginale sur l’île communiste. Si le gouvernement cubain a relâché plusieurs dizaines de prisonniers politiques – comme le prévoyait l’accord de rapprochement avec les Etats-Unis – il a de plus en plus recours à des détentions de courte durée pour empêcher les opposants de participer à des marches pacifiques ou à des réunions. Pendant la visite du pape François en septembre 2015, entre 100 et 150 dissidents ont été arrêtés. La Commission cubaine des droits de l’homme et de la réconciliation nationale (organisme indépendant interdit mais toléré par les autorités) a recensé plus de 8 500 cas de détention arbitraire en 2015, et plus de 2 500 au cours des deux premiers mois de 2016. Ce dimanche, à quelques heures de l’arrivée d’Obama, plusieurs dizaines de dissidents ont été interpellés, selon l’AFP.
Impact symbolique
Dans ce contexte, la visite d’Obama suscite de nombreuses critiques aux Etats-Unis, y compris dans son camp. «Je comprends le désir d’inscrire cette visite dans son héritage politique, mais le problème fondamental de la liberté et de la démocratie reste entier», a déclaré la semaine dernière Robert Menendez, sénateur démocrate d’origine cubaine. A la Maison Blanche, on reconnaît que «de profonds désaccords» persistent avec La Havane en matière de droits humains. Mais pour le conseiller du président Ben Rhodes, «le rapprochement diplomatique place les Etats-Unis dans une meilleure position pour soulever ces problèmes avec le gouvernement cubain, tout en en discutant directement avec la société civile». Outre une rencontre en tête-à-tête avec Raúl Castro et un dîner d’Etat, Obama doit rencontrer des dissidents. Il s’adressera également au peuple cubain dans un discours retransmis à la télévision. «Son message sur les droits de l’homme devra être fort et spécifique», estime José Miguel Vivanco, directeur Amériques à l’ONG Human Rights Watch.
Dans un éditorial au parfum d’avertissement publié par le quotidien officiel Granma, les autorités cubaines ont mis en garde Washington contre toute ingérence : «Les Etats-Unis doivent renoncer à leurs velléités de créer une opposition politique intérieure», martèle le texte. En dépit de cette fermeté affichée et du récent durcissement du régime, certains spécialistes appellent à ne pas sous-estimer l’impact symbolique de la visite. «Du point de vue cubain, cette visite est très risquée, analyse Richard Feinberg, spécialiste de l’Amérique latine à la Brookings Institution. Vous avez Barack Obama, un dirigeant jeune, vigoureux et métissé qui ressemble au Cubain moyen. La comparaison est gênante pour la classe dirigeante cubaine, vieillissante, distante et majoritairement blanche.»
Contrats
Selon Richard Feinberg, par sa simple présence, le président américain menace les fondements du régime Castro : «Le paradigme de sécurité nationale à Cuba était basé sur la peur de l’impérialisme américain. C’était leur excuse pour le manque de pluralisme et les pénuries économiques. Quand vous recevez le président des Etats-Unis, qu’advient-il de ce paradigme ? Il s’évapore. Et cela, à mon sens, est une réussite majeure pour l’administration Obama.» Débarrassés de l’étiquette d’ennemi juré, les Etats-Unis espèrent renforcer leur présence économique sur l’île. Plusieurs PDG, dont ceux de Xerox et des hôtels Marriott, accompagnent Obama à Cuba, tout comme les secrétaires américains à l’Agriculture et au Commerce. Depuis dix-huit mois, les restrictions sur les échanges commerciaux et les voyages ont été allégées par Washington. Samedi, Starwood est devenu le premier groupe hôtelier américain à signer un accord avec Cuba depuis 1959.
Mais pour l’heure, peu de contrats majeurs ont été conclus. La faute aux lois restrictives et à la bureaucratie cubaines. La faute, aussi et surtout, à l’embargo économique américain en vigueur depuis 1962. Et dont le régime cubain et Barack Obama réclament d’une seule voix la levée. Le Congrès, contrôlé par les républicains, s’y refuse catégoriquement. A Cuba, les besoins et les opportunités sont pourtant énormes. Fragilisée par les difficultés de son parrain vénézuélien, l’économie cubaine a plus que jamais besoin des dollars américains. Particulièrement dans le secteur du tourisme, où l’afflux de visiteurs – notamment américains – met en lumière le manque chronique de capacités d’accueil.
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