Le 9 novembre aux petites heures, les Américains ont réalisé qu’ils avaient élu Donald Trump à la présidence et le soleil s’est quand même levé ce matin-là. Après un mois, les catastrophes anticipées ne sont pas (encore) arrivées, mais ça ne veut pas dire que tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes pour le président élu.
Les lecteurs assidus de ce blogue savent déjà que je n’étais pas très optimiste pendant la campagne quant aux perspectives politiques, économiques et sociales aux États-Unis dans l’éventualité d’une victoire de Donald Trump. Ils savent aussi, et plusieurs me le rappellent fréquemment avec tact et délicatesse dans la section «Commentaires» de ce blogue, que je jugeais cette victoire improbable, voire impossible. Pour des raisons qu’on mettra un certain temps à comprendre, cette victoire est malgré tout arrivée.
C’est arrivé, et pourtant la Terre tourne encore. Comme il se doit, tous ceux qui portent un titre officiel et la plupart des grands médias traitent le président élu comme n’importe quel autre président élu. On joue le jeu de la normalisation de Donald Trump même si sa campagne n’avait rien de normal et a transgressé à peu près toutes les normes de la politique américaine. Il faut bien se résoudre au fait qu’il a gagné. Malgré ce qu’on a pu en dire dans le vif de la campagne, la victoire de Trump ne signifie pas (encore) que la fin du monde est proche, mais tout ne va pas nécessairement pour le mieux dans le meilleur des mondes.
Les bourses s’emballent
Premier indice que la fin du monde n’a pas suivi la victoire de Trump: les bourses américaines n’ont pas chuté comme certains s’y attendaient. À quelques moments pendant la campagne, les avancées de Trump ont été accompagnées de chutes momentanées des bourses, ce qui avait fait dire à plusieurs que les investisseurs étaient allergiques à l’incertitude associée à un personnage hautement imprévisible comme Donald Trump. Dans les heures qui ont suivi l’annonce de sa victoire, les bourses asiatiques et européennes ont fléchi, mais les marchés américains ont plutôt réagi positivement à sa victoire, accompagnée d’une confortable majorité au Congrès.
En fait, comme le montre l’image ci-dessous, quelques semaines après son élection, la bourse a gagné en valeur de façon appréciable, ce qui dénote un certain optimisme de la part des marchés. Cet optimisme s’explique entre autres par le fait que les énormes réductions d’impôts pour les 1% les plus fortunés donneront à ces derniers des sommes considérables à investir et les assouplissements réglementaires promis par Trump dans le domaine de la finance devraient bénéficier aux marchés financiers à court terme.
Mais l’économie américaine fonctionne presque à pleine capacité et il est probable qu’une hausse des taux d’intérêt en 2017 pourrait tempérer les marchés. De plus, il est loin d’être certain que les hausses auxquelles on assiste aujourd’hui soient soutenables sur une longue période. Après tout, l’indice Dow Jones avait réagi assez négativement à l’élection de Barack Obama en 2008 et ça ne l’a pas empêché de connaître une croissance spectaculaire de presque 150% pendant ses deux mandats. De plus, les marchés avaient accueilli très favorablement l’élection de Herbert Hoover en novembre 1928 et on sait ce qui est arrivé à peine un an plus tard.
Quelques bons «deals» ne font pas une politique économique
L’un des bons coups politiques de Donald Trump dans cette période de transition est la promesse arrachée au PDG de United Technologies de maintenir une usine de sa filiale Carrier à Indianapolis, en lui graissant un peu la patte avec 7 millions $ en subventions, gracieuseté des contribuables de l’Indiana par les bons soins du gouverneur de l’État, qui sera bientôt son vice-président. Pratique. On ne connaît pas les détails, mais l’hypothèse la plus vraisemblable est que Donald Trump aurait gentiment tordu le bras dudit PDG en lui rappelant les milliards de contrats militaires qu’il pourrait perdre s’il ne faisait pas une petite faveur au président élu. Environ 800 emplois ont donc été maintenus en Indiana et Trump a pu se payer un très bon «photo-op» avec ces mêmes travailleurs du «rust belt» fragilisés par les effets de la mondialisation des marchés et des délocalisations.
Mais ce genre d’approche au cas par cas ne peut pas vraiment constituer l’assise d’une politique économique d’ensemble viable. Bien sûr, certaines entreprises céderont et donneront à Trump d’autres occasions de proclamer victoire, mais ces cas resteront isolés et le déplacement des emplois de fabrication vers les pays à faible coût de main-d’œuvre se poursuivra.
Il ne faut pas non plus négliger que ce genre d’initiatives peut avoir des effets indésirables. Par exemple, d’autres fabricants qui envisagent des délocalisations pourraient réclamer eux aussi des traitements de faveur que les gouvernements ne peuvent pas nécessairement payer. Pour ce qui est des menaces de rétorsion contre les déplacements d’emplois que Trump place au centre de sa stratégie industrielle, elles pourraient mener les entreprises à éviter de mettre en place des usines de fabrication aux États-Unis par crainte de ne pas pouvoir les fermer si elles deviennent non rentables.
Même si le protectionnisme de Trump est bien reçu par les travailleurs, il est loin d’être clair que ceux-ci accueilleront à bras ouverts le reste du programme économique du Congrès républicain très conservateur et le dogmatisme antisyndical de plusieurs membres du prochain cabinet, sans parler d’une Cour suprême destinée à devenir beaucoup plus réceptive à faire pencher la balance du système juridique encore plus en faveur des patrons et contre les travailleurs.
L’opinion reste réfractaire à Donald Trump
Traditionnellement, l’opinion publique américaine accorde une période de grâce à ses présidents immédiatement après l’élection et pendant quelques mois après leur assermentation. Dans le cas de Donald Trump, c’est assez mal parti. Au jour de l’élection, le 8 novembre, la moyenne des sondages de RealClearPolitics.com indiquait que 38% des Américains avaient une opinion favorable de celui qu’ils allaient élire, contre 58% d’opinions défavorables. Aujourd’hui (9 décembre), l’opinion est à peine plus favorable (41% favorables, 54% défavorables). À titre de comparaison, à pareille date (8 décembre) suite à sa première élection en 2008. Barack Obama recevait 67% d’opinions favorables contre 23% d’opinions défavorables (source). Après chaque élection depuis 1988, le centre Pew sonde les Américains pour leur demander de donner une note aux candidats selon la façon dont ils se sont comportés en campagne. Tous les gagnants précédents ont reçu plus de 50% de A ou de B, mais Trump a reçu seulement 30%.
De même, très peu d’Américains ont adopté une attitude plus optimiste quant à la direction du pays depuis l’élection. Le 8 novembre, selon l’indice de RealClearPolitics, 62% croyaient que le pays allait dans la mauvaise direction («wrong track») et seuls 31% étaient optimistes. Un mois plus tard, ces chiffres ont à peine changé, à 59% et 31%.
Bref, Donald Trump a une pente très raide à remonter dans l’opinion pour surmonter l’impression très largement négative laissée par sa campagne dans l’esprit des électeurs des deux partis. L’élection de Trump ne signale pas la fin du monde, mais il lui reste encore beaucoup à prouver pour dissiper les inquiétudes d’une majorité de ses concitoyens—sans parler de celles d’un blogueur encore sceptique.
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