Pourquoi Trump n’est pas l’héritier de Reagan
Autoritaires, bêtes médiatiques, populistes… Donald Trump et Ronald Reagan ont beau se ressembler sur certains points, la filiation entre eux n’en reste pas moins délicate à accréditer. Portraits croisés.
Depuis que Reagan a quitté la Maison Blanche, ils y sont tous passés. George Bush père, Newt Gingrich, Scott Walker, Marco Rubio, Mitt Romney… Tous les potentiels présidentiables républicains ont été soumis au détecteur “reaganien” par le Grand Old Party, avec le concours bienveillant des médias américains. Comme si celui qui réincarnerait le plus fidèlement le Gipper (un des surnoms de Reagan, tiré d’un de ses films) verrait ses chances d’accéder et de réussir à la Maison Blanche accrues. Dans la psyché républicaine, Reagan ne représente ni plus ni moins qu’un âge d’or. Le parti et le mouvement conservateur plus généralement lui attribuent notamment la “victoire” américaine dans la Guerre Froide ou la résolution de la crise des otages de Téhéran.
Logiquement, Trump n’a pas échappé au jeu des sept ressemblances avec l’ancien président. Et certaines permettent de voir en lui un nouveau Reagan. Comme cette capacité à plaire à une classe moyenne/ouvrière/blanche animée par un sentiment de déclin. En 1980 et 1984, Reagan séduit largement ce “groupe électoral” grâce à un discours d’hostilité à l’égard minorités (sur le thème de l’Etat-providence, dont elles abuseraient des avantages) et des élites libérales, qu’il juge coupables d’avoir abandonné les “gens qui travaillent dur”, selon sa rhétorique de l’époque. 36 ans plus tard, les ressorts populistes utilisés par Trump sont les mêmes : menaces envers les minorités (pas sur le sujet du welfare, mais sur l’immigration) et abandon des élites politiques (libérales et conservatrices).
Capter le besoin d’autorité de l’électeur
Les deux hommes ont également en commun d’incarner une figure d’autorité. Nous l’écrivions dans nos colonnes en septembre, le paramètre le plus fiable pour déterminer la propension d’un électeur américain à voter Trump était l’autorité. Quant à Reagan, comme l’explique Françoise Coste dans son excellente biographie du Gipper (“Reagan”, Perrin), son équipe de campagne lui construit en 1980 une image de leader fort et autoritaire, en opposition à Jimmy Carter, perçu comme un président faible après avoir échoué à endiguer l’inflation et à faire face à la prise d’otages à l’ambassade américaine de Téhéran. Son “Malaise Speech” marque l’apogée de cette crise de confiance et d’autorité d’une Amérique qui se tourne par la suite vers le musculeux Reagan, qui promet d’arrêter les “humiliations” sur la scène internationale et de restaurer la “fierté” nationale.
Enfin, la maîtrise des médias peut permettre d’effectuer un rapprochement entre les deux hommes. Les époques diffèrent, les usages aussi, mais pas leur domination du paysage médiatique. Reagan grâce à la télévision (que Trump maîtrise également), Trump grâce aux réseaux sociaux. L’ancien acteur était si habile à la télévision qu’il était surnommé le Grand communicant. Quant à Trump, sa façon de créer continuellement le buzz dans l’époque de l’instantanéité lui a permis de rester constamment au centre de l’attention pendant la primaire républicaine, pourtant initialement peuplée de 17 candidats. Plusieurs médias américains ont évalué la couverture médiatique dont a (gratuitement) bénéficié Trump à 2 milliards de dollars.
Reagan, succès du renouveau conservateur
Ces arguments ne suffisent cependant pas à faire de Trump l’héritier de Reagan. Sur le plan idéologique, les contextes diffèrent énormément : alors que Reagan symbolise l’avènement du renouveau du conservatisme amorcé après 1945 et bouillonnant dans les années 1970 (théorie de l’offre en économie, expansion de la démocratie et fermeté face à l’URSS dans les relations internationales, discours social imprégné de religion et centré sur les valeurs morales), Trump ne s’inscrit pas dans un contexte idéologique aussi effervescent, le Parti républicain n’ayant en trois décennies que peu dérogé à la doxa conservatrice “reaganienne”. Le programme de Trump n’ayant “[cessé] d’évoluer au gré des sondages et de l’actualité” (1), il est difficile d’accoler à Trump une idéologie. Peggy Noonan, ancienne speech writer de Reagan, estime même que Trump serait un candidat anti-idéologies, définissable avant tout par le concept “l’Amérique d’abord” (America first).
Reagan emmène l’Amérique avec lui, pas Trump
Comparer Trump et Reagan, c’est aussi comparer la façon dont ils ont été élus. Si Trump a donné l’impression d’écraser un à un ses concurrents aux primaires républicaines, ce n’est rien au regard des scores réalisés par Reagan en 1980. Dès le début du marathon électoral, Reagan remporte des victoires écrasantes avec des scores presque toujours au-dessus de 50% (avec des pics à plus de 70% comme en Géorgie et dans le Kansas) alors que Trump ne dépasse pas les 40% (sauf aux îles Mariannes, 471 votants) avant la mi-avril, soit deux semaines avant de se retrouver seul en course à l’investiture. Si l’on s’en fie aux statistiques, l’engouement suscité par Reagan est supérieur.
Une affirmation que l’élection générale vient accréditer : Reagan remporte presque 10% de suffrages de plus que Carter sur le vote populaire avec 489 grands électeurs alors que Trump accuse deux points de retard sur Clinton (soit 2,8 millions de votants) et “seulement” 306 grands électeurs. L’Amérique n’a pas suivi Trump comme elle a suivi Reagan.
Optimisme vs pessimisme
Ceci s’explique en partie par la différence majeure entre les deux hommes, qui peut se résumer en un mot : l’optimisme. Chez Reagan, c’est un trait de caractère quasi-congénital, acquis dès son plus jeune âge grâce à l’éducation évangélique qu’il reçoit de sa mère. Si comme Trump, l’icône républicaine a parfois tenu des accents déclinistes dans sa carrière politique, ce n’était que pour mieux accentuer son optimisme, mélange d’une foi inébranlable en l’avenir et d’une vision romantique et messianique de l’Amérique. Pour Reagan, “l’histoire américaine était jalonnée d’exemples qui prouvaient la destinée et le courage exceptionnels du peuple américain, comme les deux guerres mondiales où les Etats-Unis s’étaient battus pour la démocratie et contre la tyrannie”.
Rien de tel chez Donald Trump, qui s’est approprié le pessimisme d’une large part de la société américaine. La vision angoissante de l’Amérique qu’a donnée le Parti républicain lors de sa Convention nationale en juillet 2016 est là pour en attester. Olivier Piton, auteur du livre “La nouvelle révolution américaine” (Plon), estime à cet égard que Trump “[s’inscrit] clairement dans un ‘post-reaganisme'” qui ressemblerait aux populismes européens qui “alarment leurs opinions publiques respectives sur les risques d’un effondrement de leur propre civilisation”. Voilà la différence entre le “Let’s make America great again” de 1980 et le “Make America great again” de 2016 : une Amérique optimiste et tournée vers l’avenir face à une Amérique repliée sur elle-même et paralysée par ses peurs.
Jérémy Hébras
(1) Naves Marie-Cécile, Trump : L’onde de choc populiste, Quercy, FYP, 2016, p.21
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