Marqué par une entrée en fonction désorganisée, le nouveau gouvernement devra improviser. C’était une phrase anodine au cours de sa dernière conférence de presse, mais les mots prononcés par Barack Obama étaient soupesés : « La tâche [qui attend le président] est d’une telle ampleur qu’il ne peut l’accomplir seul. » Devant la complexité des enjeux, ajoutait-il, nul doute que le nouveau président devra se reposer sur son équipe.
Car c’est dans l’aile Ouest que les décisions vont se prendre. Avec Trump, bien sûr. Et surtout ses conseillers.
Vendredi, l’Amérique a tourné la page sur un président cérébral qui faisait appel à une pluralité de conseillers, les laissant débattre ; il tranchait en ayant pris la mesure de la complexité des enjeux, au terme d’un processus parfois long — trop long —, en renonçant à se jeter dans la mêlée en politique intérieure et à marchander avec le Congrès.
Dans le même temps, le processus de transition qui s’est achevé vendredi avec la passation des pouvoirs a confirmé une intuition entêtante : Trump n’avait pas plus prévu d’occuper la Maison-Blanche que W. avait pensé l’occupation de l’Irak. Or, on ne passe pas, en 24 heures, d’un plan visant à mettre en place une chaîne de nouvelles câblée au bureau ovale.
L’improvisation
Dès lors, l’équipe Trump a dû improviser et n’a pu déployer que des têtes de pont dans les différents ministères (536 personnes), à défaut de pouvoir remplacer les 4000 agents qui relèvent du politique. Elle a même dû se résoudre, dans des domaines cruciaux comme la sécurité nationale, à maintenir en poste plus de 50 personnes clés du gouvernement Obama, tels le secrétaire adjoint à la défense, Robert Work, ou encore le directeur du Centre national de contre-terrorisme, Nicholas Rasmussen.
Le sentiment d’improvisation est similaire avec les auditions des membres du cabinet devant le Sénat, qui ont trahi les incohérences du gouvernement. C’est ainsi que Betsy DeVos a pu justifier la présence des armes dans les écoles du Wyoming en raison des grizzlis, et ignore tout du programme pour les enfants présentant des difficultés d’apprentissage dans les écoles publiques ; ou encore que Rex Tillerson n’a pu répondre aux questions du sénateur Rubio sur la situation aux Philippines ou le nucléaire iranien.
Les auditions ont également fait état de profondes divergences idéologiques entre les membres du cabinet et des dissonances entre la nouvelle équipe présidentielle et le Parti républicain. Mais il y a aussi des discordances importantes entre les « ministres » et les conseillers dans l’aile Ouest.
Ainsi, certains sièges non pourvus au Pentagone seraient liés au désaccord entre Mattis, confirmé par le Sénat il y a quelques jours, et l’équipe de conseillers — avec Steve Bannon et Jared Kushner. Il est difficile d’imaginer que l’économiste Peter Navarro, qui prend la tête du National Trade Council, ne va pas heurter le club des milliardaires, même si ces derniers n’ont guère plus d’expérience de gouvernement que le président qu’ils entourent.
« Tout ira bien »
« Tout ira bien », a dit Barack Obama mercredi dernier… Mais, au fil des crises, le gouvernement pourrait s’abîmer dans un climat délétère. Car la politique américaine est par définition imprévisible. Les ennemis se succèdent et ne se ressemblent pas, la distinction entre politique externe et interne est parfois floue, les enjeux sont parfois plus volatils.
Un président qui aura su s’entourer de conseillers d’expérience, et qui aura mis en place un véritable processus décisionnel visant à trier les différentes options, va pouvoir réagir à un imprévu en se fiant à l’intuition, aux expériences de ses conseillers.
On se souviendra qu’en 1962, Kennedy avait privilégié les canaux officieux de Khrouchtchev plutôt que le canal officiel lors de la crise des missiles de Cuba, évitant de justesse une confrontation nucléaire. Dans ce sens, la recherche scientifique montre combien la personnalité du président et son mode de gestion sont déterminants…
Deux conséquences
Il y a deux conséquences à cette cacophonie institutionnelle. Le risque est que les politiques, notamment en période de crise, soient totalement improvisées, que, face à un président narcissique et centralisateur, les conseillers s’affrontent. Que certains claquent la porte, tandis que d’autres deviennent omnipotents.
La seconde tient au fait qu’à défaut de pouvoir faire percoler leurs points de vue au sommet, de pouvoir présenter la complexité des enjeux au cabinet, la tour de Babel bureaucratique va se trouver d’autres exutoires : The Washington Post, en réorganisant son équipe, et The New York Times, en consacrant une page de son site Web aux moyens de communication sécurisés avec ses reporters, ont saisi la balle au bond.
Mis à l’index par un président provocateur, alors qu’ils enquêtent encore sur son élection, le FBI et la CIA n’auront ni allégeance ni fidélité, rappelant les années Nixon. Au gouvernement par tweets répondront les fuites d’un gouvernement indiscipliné.
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