L’affaire Boeing: l’hypocrisie des élus
La comparution mardi et mercredi du chef des opérations de Boeing, Dennis Muilenburg, devant deux comités du Congrès a permis de confirmer plusieurs des informations troublantes qui ont circulé depuis le second écrasement d’un 737 MAX en mars dernier.
Interrogé de façon insistante par les élus républicains et démocrates, le patron de Boeing — qui a récemment perdu son titre de président — s’est excusé auprès des familles des 346 disparus. C’était la moindre des choses.
L’affaire a déjà coûté près de 10 milliards à Boeing et la facture continuera de grimper à cause des réclamations qui viendront des transporteurs privés de leurs appareils pour encore quelques mois. Ainsi en est-il d’Air Canada et de WestJet, qui possèdent ensemble trente-sept 737 MAX.
Mardi, M. Muilenburg a admis qu’il savait, avant le deuxième écrasement, qu’un pilote haut placé chez Boeing, Mark Forkner, avait omis de divulguer aux autorités les problèmes rencontrés en manipulant le système automatique de correction d’angle lors d’essais sur simulateur effectués un an avant la mise en service de l’appareil. Malgré cela, le même M. Forkner aurait insisté quelques mois plus tard pour que la Federal Aviation Administration (FAA) s’abstienne d’exiger que l’on fasse allusion à ce système dans le manuel de pilotage.
Boeing était si convaincue qu’il s’agissait d’un mécanisme de sécurité marginal qu’elle a offert l’installation d’une alerte lumineuse en option seulement. Malgré les mises en garde de ses propres ingénieurs, la direction formulait l’hypothèse qu’en cas de problème, les pilotes parviendraient à redresser manuellement leur appareil en moins de 10 secondes. Ce ne fut pas le cas.
Autre révélation troublante : on sait maintenant que la FAA se fiait surtout aux ingénieurs de Boeing pour effectuer les tests de certification et que ses propres employés ne connaissaient à peu près rien du nouveau mécanisme de correction automatique rendu nécessaire à cause de la présence de moteurs plus volumineux que sur les anciens 737.
Rappelons que Boeing avait choisi de faire du neuf avec son vieux 737 très populaire dans le but de gagner quelques années et d’économiser des milliards à développer un nouvel appareil capable de concurrencer Airbus.
C’est aussi pour accélérer l’entrée en service des nouveaux aéronefs que Boeing faisait pression sur les élus depuis près d’une décennie pour obtenir une plus grande délégation des pouvoirs d’homologation détenus par la FAA.
Cette façon de faire est allée trop loin, a récemment conclu un comité formé des autorités réglementaires du monde entier, puisque la FAA ne disposait que de 45 personnes, dont 27 ingénieurs, pour vérifier la conformité du 737 MAX contre 1500 employés de Boeing affectés à cette tâche. Des employés qui étaient eux-mêmes sous forte pression de la part de la direction, a-t-on appris.
Il y avait quelque chose de profondément hypocrite dans les discours accusateurs des élus américains, démocrates comme républicains, prononcés cette semaine au Congrès. Ce sont ces mêmes politiciens qui, pas plus tard que l’an dernier, ont adopté dans l’enthousiasme une loi qui cède encore plus de responsabilités aux constructeurs comme Boeing afin « d’accroître la compétitivité de l’industrie américaine ». Aujourd’hui, certains disent le regretter, mais il est vraiment trop tôt pour applaudir.
Jusqu’à ce jour, les autorités réglementaires du monde entier, dont le Canada, se fiaient presque entièrement au processus de certification des États-Unis pour accorder leur propre autorisation de vol. Exigeons pour notre sécurité qu’il en soit désormais autrement.
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