Les pétrodollars sont encore et toujours cruciaux pour les États-Unis car ceux-ci doivent financer un déficit de l’ordre du trillion de dollars. Voilà pourquoi toute velléité émise par un producteur de libeller ses ventes de pétrole en euros ou en une autre devise est immédiatement prise très au sérieux par les USA, qui agissent en fonction, quelles que soient les conséquences humaines ou géopolitiques.
Les États-Unis reviennent de loin. Leur dollar était, au début des années 1970, en situation précaire du fait du coût exorbitant de la guerre du Vietrnam. Par ailleurs, les effets combinés de divers programmes sociaux ne leur permettaient plus de maintenir la parité contre l’or établie en 1944 à Bretton Woods. Comme ils imprimaient toujours plus de monnaie afin de pallier leurs déficits grandissants, la valeur du dollar ne fit que se dégrader en toute logique vis-à-vis de l’or, suscitant une méfiance généralisée à l’encontre du billet vert et conduisant des pays comme la France ou la Suisse à exiger une conversion immédiate en or de leurs réserves libellées en dollars. Confrontés à la perspective de subir un érosion irrémédiable de leurs stocks d’or si d’autres nations exigeaient la convertibilité immédiate de leur dollars contre l’or, les USA annoncèrent donc, en 1971, l’abandon du système de Bretton Woods et décrétèrent le libre flottement de leur monnaie.
Il était pourtant évident que cet authentique bouleversement de paradigme consistant à laisser librement fluctuer les monnaies les unes contre les autres, indépendamment du cours de l’or, ne réglerait en rien les soucis américains qui subissaient une vraie crise de confiance à cause de leur mauvaise gestion économique et financière. Ce n’est en effet pas le flottement du dollar, annoncé unilatéralement, qui encouragerait les nations et investisseurs du monde à financer la dette américaine de plus en plus incontrôlable. Les États-Unis devaient donc impérativement trouver des débouchés pour le marché de leur dette, sans devoir être contraint de monter leurs taux d’intérêt.
Échange de bons procédés
C’est alors que le Président Nixon dépêcha en 1974 en Arabie Saoudite son secrétaire au Trésor, William Simon, avec pour mission de négocier un arrangement qui dure encore à ce jour. Les USA seraient le premier fournisseur d’armes du royaume et son protecteur le plus déterminé en contrepartie de quoi les saoudiens recycleraient les dollars issus de leurs ventes pétrolières pour financer les déficits américains par l’entremise d’achats massifs de bons du Trésor. Échange de bons procédés d’une simplicité enfantine, permettant de soulager les finances publiques US tout en assurant la sécurité d’un pays instable, menacé de l’extérieur dans un contexte géopolitique tourmenté, mais également de l’intérieur (souvenons-nous entre autres de l’assassinat en 1975 du roi Faysal par son propre neveu). Le pétrodollar était donc né, d’une volonté américaine de neutraliser l’arme du pétrole (qui menaçait à l’époque de plus en plus l’Occident), convenant en outre parfaitement aux saoudiens qui trouvaient aux États-Unis un refuge pour y parquer leurs dollars.
Cette association, il faut bien le reconnaître quelque peu contre-nature, entre les États-Unis d’Amérique et le royaume wahhabite – à une époque où l’Arabie régnait sur l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP), laquelle dominait alors pas moins de la moitié du marché ! – devait contraindre tous les autres exportateurs d’utiliser le dollar qui retrouva dès lors une nouvelle jeunesse car de plus en plus demandé, sollicité, convoité et par les vendeurs et bien-sûr par le acheteurs de pétrole qui devaient obligatoirement s’en procurer pour régler leur facture énergétique. Pétrole saoudien contre protection US, garantie américaine d’abriter en toute sécurité sur son territoire les pétrodollars arabes en échange du financement de son train de vie : c’est ce pacte américano-saoudien qui devait ainsi consacrer la toute puissance de la monnaie américaine à l’échelle universelle, le tout dans une opacité absolue de part et d’autre et dans une étroite collaboration mutuelle, car nul ne peut évaluer avec précision, même aujourd’hui, la nature ni la quantité des actifs saoudiens investis aux USA.
Préserver le pétrodollar, une nécessité
En 2020, l’OPEP ne représente plus que 30% du marché pétrolier mondial et l’Arabie n’est plus que le troisième producteur derrière la Russie et… les États-Unis. Les pétrodollars sont néanmoins encore et toujours cruciaux pour les États-Unis car ceux-ci doivent financer un déficit de l’ordre du trillion de dollars. En d’autres circonstances, le déclin de l’OPEP et du rôle relatif de l’Arabie Saoudite désormais distancée par les États-Unis devenus eux-mêmes plus grands producteurs de pétrole auraient dû sonner le glas du pétrodollar. C’était compter cependant sans ces mille milliards de dollars que les USA se doivent de financer et qui les rend toujours très sensible et extraordinairement attentifs à tout ce qui se passe en Arabie Saoudite et dans cette région du monde. Les États-Unis ont donc plus que jamais besoin que le dollar reste la monnaie la plus sollicitée au monde, comme il leur est vital de pouvoir attirer suffisamment de flux financiers pour financer leurs déficits. Une crise budgétaire provoquée par un assèchement de l’approvisionnement en pétrodollars exercerait une remontée immédiate de leurs taux d’intérêt, un effondrement de la valeur du dollar, une envolée de leur inflation, bref une réaction en chaîne dont le spectre conditionne évidemment leur politique étrangère.
Voilà pourquoi toute velléité émise par un producteur de libeller ses ventes de pétrole en euros ou en une autre devise est immédiatement prise très au sérieux par les USA, qui agissent en fonction, quelles que soient les conséquences humaines ou géopolitiques. Voilà également pourquoi l’Arabie Saoudite restera un allié central des États-Unis qui en soutiendront toujours le régime, pour préserver le pétrodollar et, en définitive, se préserver.
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