Sauver la face
Pour les deux parties, l’accord entre la guérilla des talibans (autodésignée « Émirat islamique d’Afghanistan ») et le gouvernement des États-Unis, signé cette fin de semaine au Qatar, est d’abord un acte de propagande. Donald Trump cherche, dans ce pacte censé mettre fin à une guerre de plus de 18 ans, un succès (réel ou apparent) de politique étrangère en vue de sa campagne de réélection.
Aujourd’hui, Trump veut pouvoir clamer qu’il est celui qui, officiellement, aura mis fin à la plus longue guerre menée par les États-Unis dans toute leur histoire.
Du point de vue des talibans, cet accord signé en grande pompe, avec un représentant américain de haut rang (Zalmay Khalilzad, ex-ambassadeur à Kaboul, à Bagdad et aux Nations unies) est une consécration inespérée.
Au détriment d’un gouvernement officiel absent et impuissant, les officiels de l’Émirat se voient sacrés « vrais interlocuteurs », représentants authentiques des Afghans. Et ce, malgré une clause de l’accord (répétée dans chaque paragraphe du texte, ou presque) qui spécifie que « l’Émirat islamique d’Afghanistan, aussi connu sous le nom de talibans, n’est pas reconnu par les États-Unis en tant qu’État ».
Les plus cyniques y verront une simple dissimulation de la défaite : après 19 ans, les islamistes radicaux que les États-Unis avaient chassés du pouvoir en 2001 après l’horreur du 11 Septembre (produit à l’époque d’une complicité entre les talibans au pouvoir à Kaboul et l’organisation al-Qaïda, installée au pays après 1996) ont repris, selon des évaluations indépendantes, le contrôle de plus de 40 % de l’Afghanistan. Les insurgés, eux, vont jusqu’à se vanter d’occuper les deux tiers du territoire.
Aux termes de l’accord de quatre pages, « les talibans n’autoriseront aucun de leurs membres, ou d’autres individus ou groupes, dont al-Qaïda, à utiliser le sol afghan pour menacer la sécurité des États-Unis et de leurs alliés ».
Telle est la promesse à partir de laquelle les États-Unis se sentent autorisés à déguerpir au plus vite (le délai est d’environ un an pour les 12 000 ou 14 000 Américains toujours présents), en limitant autant que faire se peut l’humiliation que représentent cette signature et les conditions du départ.
Maintenant, de deux choses l’une : ou bien cet accord n’est qu’un chiffon de papier, qui viendra s’ajouter à beaucoup d’autres et qui ne signifie pas vraiment la fin de la présence américaine. (À Washington, on a précisé, après la signature, que tout manquement de la part des talibans pourrait annuler le pacte.)
Ou bien c’est vraiment un départ des troupes d’ici au printemps 2021, qui laissera dans un état d’extrême vulnérabilité le gouvernement officiel de Kaboul, face à une guérilla consacrée et triomphante… qui a obtenu le départ des troupes yankees au prix de quelques concessions verbales.
Cet accord est une gifle pour les « autorités » de Kaboul, la preuve qu’elles comptent désormais pour des prunes dans les vrais rapports de force en Afghanistan.
Le texte signé « règle » par exemple des détails, comme les échanges de prisonniers (avec des chiffres) ou le calendrier de pourparlers (à partir du 10 mars) entre le gouvernement et les talibans.
Le président Ashraf Ghani — lui-même contesté par son ex-premier ministre, qui affirme avoir gagné la présidentielle de septembre malgré des résultats officiels (probablement trafiqués) qui disent le contraire — a d’emblée remis en cause l’accord.
S’exprimant hier lors d’une conférence de presse peu après la signature de l’accord, il a affirmé que ces détails — et plusieurs autres — avaient été décidés par-dessus sa tête, et qu’il ne laisserait pas passer ça. On peut comprendre son sentiment d’humiliation.
À Kaboul et ailleurs, on peut surtout comprendre la lassitude et le désespoir des Afghans — et davantage encore, des Afghanes — qui voient revenir à l’horizon le masque hideux de l’islam radical et d’une guerre sans fin.
Tout ça pour ça. Dix-huit ans et demi, mille milliards de dollars envolés en fumée. Et des islamistes pachtounes morts de rire, qui n’ont cessé de répéter, au fil des années, comme ils l’avaient fait lors des décennies précédentes avec les Soviétiques : « Vous avez la montre, nous avons le temps. »
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