Le Congrès américain n’hésite pas à parler de climat de peur pour qualifier les relations commerciales d’Amazon avec ses revendeurs en citant de multiples exemples d’abus de position dominante dans le chef du géant du commerce électronique. L’Europe embraie.
La Commission européenne a ouvert, en novembre dernier, une procédure formelle contre Amazon pour non-respect des règles de la concurrence. Un peu comme si elle avait lu le rapport accablant de 449 pages, publié un mois auparavant par le Congrès américain; un rapport salé qui annonçait, côté américain aussi, des poursuites au regard des nombreux exemples d’abus de position dominante.
Il y a bien sûr des choses que l’on savait déjà. Amazon interdit aux revendeurs présents sur sa plateforme de contacter en direct les clients, ce qui revient à empêcher toute concurrence. Quand les produits sont livrés, ils portent évidemment haut la marque “Amazon”, emballage et communication compris, même si Amazon ne les a ni fabriqués ni vendus lui-même.
Une forme commerciale de “cancel culture”
Amazon ne respecte pas non plus la pratique du prix affiché minimum. Ce prix plancher évite la concurrence déloyale avec les magasins en dur où la marque est exposée à grands frais et où des conseils sont prodigués (qui n’a jamais fait de lèche-vitrine tout en sachant qu’il achèterait en ligne?). En fait, seul Amazon parvient à tenir tête aux grandes marques. Et quand un produit plait à Amazon, il force le revendeur à devenir son fournisseur tout en lui interdisant de vendre lui-même…
Le délistage temporaire des produits est souvent vécu comme une catastrophe pour les revendeurs, car les clients se demanderont ce qui a pu se passer (de mal) avec la société ou ses produits.
Les clients membres d’Amazon Prime ont des dépenses plus élevées: 1.400 USD/an en moyenne comparé à 600 USD/an pour les non-membres. Amazon leur offre la livraison gratuite en 24 h sur 10 millions de produits (à peine 200.000 chez Walmart en 48 h minimum).
Amazon est aussi du genre glouton. L’entreprise de Jeff Bezos a acquis plus de 100 sociétés en 20 ans, parce qu’ils étaient des concurrents sérieux ou opéraient dans des marchés adjacents. Amazon voit ces acquisitions comme une manière d’accumuler davantage de données sur les comportements d’achat, qui est, du reste, l’un des griefs que lui reproche la Commission européenne.
Mais surtout Amazon maltraite ses revendeurs. Une société (Popsockets) avait ainsi témoigné qu’après être tombés d’accord sur un prix minimum de vente, Amazon a non seulement commencé à vendre ses produits moins chers, mais exigea par la suite des dédommagements pour la perte de marge encourue… Popsockets décida alors de cesser son activité avec Amazon qui, en guise de rétorsion, interdit à tous les revendeurs de proposer des produits Popsockets.
L’élimination ciblée du bouton “buy” ou “pre-order” pour les e-books, une manière de faire pression sur les éditeurs est également pointée du doigt dans le rapport américain. Le délistage temporaire des produits, autre pratique opaque relativement courante chez Amazon, est souvent vécu comme une catastrophe pour les revendeurs, car les clients se demanderont ce qui a pu se passer (de mal) avec la société ou ses produits.
Amazon ne renvoie pas les invendus et facture des frais de stockage.
Jeff le gentil, Jeff le méchant
Quand le service se dégrade, Amazon propose les services de spécialistes pour résoudre les problèmes que son algorithme a créés. Et il y a notamment les “Jeff Letters” ou “Jeff Bombs”, une bizarrerie qui consiste à envoyer une lettre directement à Jeff Bezos pour se plaindre à condition de s’engager en contrepartie à ne pas aller en justice et de privilégier une procédure d’arbitrage.
Amazon utilise les données des revendeurs de sa plateforme pour répliquer les produits qui se vendent bien. Quand il ne copie pas, explique notamment le rapport américain, il fait pression sur le fabricant qui doit arrêter ses ventes afin qu’il le lui fournisse. Amazon se défend en expliquant qu’il n’exploite que les données agrégées et anonymisées. Sauf qu’Amazon est capable de décortiquer la structure des coûts des revendeurs sur sa plateforme vu qu’il s’occupe déjà de la logistique.
Quant aux contrefaçons, Amazon joue un double jeu. Parfois il n’est qu’une place de marché, autrement dit il n’est pas responsable, parfois il est un vendeur qui assume. Amazon utilise aussi la cause de la lutte contre la contrefaçon comme arme commerciale. Apple en a notamment fait les frais. Amazon a accepté de retirer des contrefaçons d’Apple contre un accord de gros que ce dernier refusait jusqu’alors.
Ce qui est sûr c’est qu’Amazon a accès à des données bien plus précises qu’un magasin physique qui ne voit que des allées et venues de clients anonymes. Amazon fournit, c’est vrai, des outils et des données à ses revendeurs et c’est certainement un avantage par rapport aux concurrents. Pour autant, une grande quantité de données ne sont accessibles que moyennant paiement… Sans compter que parfois elles sont tout bonnement inutiles, imprécises ou démodées.
Mariage forcé
On pourrait encore longuement analyser les relations qu’entretient Amazon et ses revendeurs. Le programme FBA (Fullfillement by Amazon) par exemple propose à ses revendeurs de combiner stockage, emballage et livraison. En clair, Amazon s’occupe de tout avec l’avantage que ce programme donne aussi accès aux membres Amazon Prime, ceux qui dépensent deux fois plus que la normale. Mais gare à ceux qui choisissent de bouder FBA: ils n’apparaitront pas dans la “buy box”. Épinglons aussi l’”Amazon Sponsored Products and Brands Tools” qui garantit d’être privilégié lorsqu’une recherche est faite sur certains mots-clés. Pas négligeable quand on sait que 44 % des consommateurs ne vont pas plus loin que les deux premières pages qui s’affichent…
Enfin, Amazon semble avoir fait sienne la tactique du “CRAP” (can’t realize any profit). De quoi s’agit- il? ce sont les produits vendus bon marché, mais qui, en réalité, sont chers à gérer, car encombrants, lourds, etc. En phase de croissance, pas de problème. Amazon les accueille bien gentiment, mais une fois le produit bien intégré à la plateforme, Amazon augmente alors les prix pour compenser cette logistique. Car Amazon fonctionne avec quelque 10.000 camions et 50 avions qu’il loue (il en aura 70 en 2021). En 2022, il dépassera UPS et Fedex après avoir déjà dépassé US Postal Service.
Au final, la commission US parle d’un climat de peur pour évoquer les relations commerciales d’Amazon. Une chose est sûre cette relation n’est ni un mariage d’amour ni un mariage de raison.
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