Au début d’août 2007, Barack Obama traversait une mauvaise passe. Hillary Clinton s’était nettement détachée dans les sondages. Elle avait même pu se permettre le luxe de participer à la conférence nationale des blogueurs de gauche, à Chicago, un public qui ne demandait qu’à en découdre avec la “maison Clinton”. Barack Obama était venu aussi, en voisin. Il n’était accompagné que de Robert Gibbs, son porte-parole, et Reggie Love, son camarade de basket-ball et garde du corps.
A l’époque, on pouvait encore aborder le candidat, à condition de ne pas l’interviewer, les entretiens avec la presse étrangère ayant été repoussés à l’après-primaires. En attendant d’être présenté pour son discours, le candidat avait livré quelques pensées sur la France, où il se rendrait après les primaires, et sur son nouveau président. Il se souvenait avoir rencontré Nicolas Sarkozy, à Washington, dans son bureau du Sénat. “Ce jour-là, remarqua-t-il, vous avez eu deux futurs présidents dans la même pièce.” Le ton n’était pas celui de la bravache dont usent les candidats quand ils essaient de se convaincre eux-mêmes. C’était le ton de l’évidence, un état de fait. N’en déplaise à l’establishment de politique étrangère, qui lui reprochait cette semaine-là des déclarations inconsidérées sur le Pakistan – “naïves”, déclara même Hillary –, la présidence des Etats-Unis était à la portée de Barack Obama. Et pourquoi ne l’aurait-elle pas été? Barack Obama a une confiance absolue en son destin, qu’il appelle son “moment”. En cinq mois d’une compétition acharnée pour l’investiture démocrate, il l’a répété de l’Iowa au Montana : “Notre moment est venu.” Et longuement encore, mardi 3 juin, à Saint-Paul, dans son premier discours de candidat du parti. “Ceci est notre moment. Le moment de tourner la page, d’apporter une nouvelle énergie et de nouvelles idées.” Il est vrai qu’il arrive à point nommé. La classe dirigeante est largement discréditée. La société américaine est de plus en plus multiraciale : la moitié des 7millions d’Américains qui se déclarent métis ont moins de 18ans (selon le recensement de 2000). Et comme le rappelle parfois Barack Obama, les Etats-Unis ne seront plus en 2050 un pays majoritairement blanc.
Barack Obama arrive au bon moment, et avec un profil différent : même s’il ne parle pas de langues étrangères (sauf l’indonésien), il est le premier candidat “global”. Sur les chemins de campagne, il a parfois été rejoint par les membres de sa famille recomposée à l’échelle planétaire. On a vu Auma Obama, sa demi-sœur, qui fait du travail social à Nairobi, au Kenya. Elle est la fille qu’eut Barack Obama Senior, le père du candidat, avec sa première femme. Ou Maya Soetoro-Ng, son autre demi-sœur, née du remariage de sa mère avec un homme d’affaires indonésien. Maya est professeur à Hawaï, où Barack a été élevé par ses grands parents, et où 21% des habitants se déclarent “Hapa” –”moitié moitié”– c’est-à-dire issus de mariages mixtes.
Et puis, il y a les symboles. Quand le sénateur acceptera l’investiture du parti, à la Convention de Denver, le 28août, ce sera jour pour jour l’anniversaire du fameux discours I have a dream pronnoncé par Martin Luther King en 1963. Quand il prêtera serment –s’il est élu– en janvier 2009, ce sera à quelques semaines du bicentenaire de la naissance de Lincoln, le président qui a mis fin à l’esclavage, qui est venu lui aussi de l’Illinois et qui a laissé des discours immortels dans la mémoire américaine.
Contrairement à Hillary Clinton, qui a souvent évoqué la “dimension historique” des primaires 2008 –une femme et un africain-américain prétendant à la nomination du parti–, Barack Obama met rarement cette dimension en avant. En remportant la nomination du parti, il n’est pas moins entré dans l’Histoire. De son vivant, la génération qui a dû conquérir le droit de partager avec les Blancs les salles de café ou les sièges d’autobus, aura vu un Noir choisi par des millions de Blancs pour les représenter dans la compétition pour la Maison Blanche.
Quand Barack est né, en 1961 à Honolulu, les mariages mixtes étaient interdits dans 16Etats. Le voilà aux portes de la Maison Blanche. “Notre pays ne sera plus jamais le même, écrit le blogueur Oakland Kid sur le site Daily Kos. C’est au monde entier que nous parlons maintenant avec une voix nouvelle. Quelque part au paradis, Martin Luther King, Thomas Jefferson et Walt Whitman doivent sourire.” Inconnu il y a quatre ans, candidat à la présidentielle à 46ans, Barack Obama arbore une absence complète de fébrilité. Sa biographie est déjà écrite, rédigée à l’âge de 33ans, alors qu’il sortait de la faculté de droit de Harvard où il avait été élu à la présidence de la prestigieuse Law Review. Derrière son ascension et son apparente facilité, se cache une organisation disciplinée, fondée sur un premier cercle, celui des amis de Chicago, Juifs et Noirs progressistes, typique de la ville. A son état-major, le candidat n’a donné qu’une consigne : pas de drames.
S’il n’a annoncé sa candidature que le 10février 2007, Barack Obama se prépare depuis longtemps. Dès son premier “grand” discours, à la convention démocrate de 2004, son nom est mentionné parmi les étoiles montantes du parti. L’été 2006, il se rend en Afrique du Sud et au Kenya, avec des journalistes, en prévision des portraits qui ne manqueraient pas d’accompagner la sortie de son livre Audacity of Hope. La parution de l’ouvrage coïncide avec les élections de mi-mandat de novembre, ce qui lui permet d’être présent dans le débat sans être candidat et de commencer discrètement à compter ses amis et ses financiers.
S’il affiche aujourd’hui un rejet complet des lobbystes, il n’a pas toujours été aussi intransigeant. Sa “machine politique” des débuts au Sénat, a été constituée par “un groupe classique de lobbyistes et de consultants de Washington”, comme l’a montré le magazine Harper’s en novembre 2006. Ses principaux contributeurs étaient des cabinets d’affaires. Quelles que soient ses intentions de faire de la politique autrement, Barack Obama sait donner des coups de patte et faire des concessions à la politique politicienne. Après la polémique sur son patriotisme, il a remis un petit drapeau américain au revers de sa veste.
Il y a quatre ans, certains Américains, y compris parmi les jeunes, étaient irrités de voir l’enthousiasme des Européens pour le démocrate John Kerry. Ils faisaient remarquer que “ce n’est pas à l’étranger de décider” du président des Etats-Unis. Rien de tel cette année. L’idée que Barack Obama pourrait les réconcilier avec le reste du monde et tourner d’un seul coup la page de huit années de présidence Bush semble constituer l’un de ses atouts. A lui tout seul, le profil de Barack Obama vaut des années d’efforts de diplomatie publique. Pendant les primaires, le département d’Etat a invité des journalistes de toute l’Afrique pour leur faire partager la campagne et leur montrer l’Amérique.
Si Barack Obama est aussi populaire à l’étranger, c’est qu’il parle “au monde”, et qu’il parle de le changer. Dimanche, à deux jours de la clôture des primaires, il était dans le Dakota du Sud, manifestement ravi d’en finir après une course de 15 mois. Assuré d’emporter la victoire, il avait – comme Hillary Clinton – visité Mount Rushmore, le site où les visages des grands présidents américains sont gravés dans la roche – “Mes oreilles sont trop grandes pour y figurer”, a-t-il plaisanté. Dans l’après-midi, il était dans un autre de ces improbables sites du Dakota du Sud, le Corn Palace, un Palais fait de dômes et de minarets en épis de maïs. De bonne humeur, en bras de chemise, il arborait son côté “everything-will-be-allright”. Il a fini son discours par une histoire illustrant l’esprit “viral” de sa campagne.
C’était au cours de l’hiver en Caroline du Sud. Un matin où tout allait mal. Il n’avait pas vu ses filles depuis une semaine. Le New York Times avait publié “un mauvais article”. Il pleuvait, et le temps de monter dans la voiture, en direction d’un village appelé Greenwood, son parapluie d’était envolé. “A ce point là, je suis furieux, endormi, et trempé”, dit-il. A l’arrivée au rassemblement, il n’y avait que 20 personnes, mais soudain, il a entendu une petite dame “avec un grand chapeau, comme si elle sortait de l’église”, qui s’est mise à chanter “Fired up (“remonté à bloc”), ready to go (Prêt à y aller). Et le public reprenait.
“Après une minute ou deux, je me suis senti bien, a raconté Barack Obama. Cela vous montre que si une voix peut changer une pièce, alors elle peut changer une ville. Et si elle peut changer une ville, elle peut changer une nation. Et si elle peut changer une nation, elle peut changer le monde.” Là-dessus, il s’est mis à scander Fired up, et toute la ville a repris avec lui. Jusqu’au moment où, démonstration faite, le conteur s’est interrompu. “Allez, a-t-il dit, allons changer le monde.”
Leave a Reply
You must be logged in to post a comment.