«Un ticket McCain/Romney serait logique»
INTERVIEW – Vice-présidence, Cour suprême, économie, politique étrangère… À près de 100 jours de l’élection présidentielle, Vincent Michelot, spécialiste des institutions et de la vie politique américaine, décrypte la stratégie de John McCain face à l’électorat conservateur.
Quel conservateur est John McCain ?
Le conservatisme de McCain, c’est le conservatisme à la Theodore Roosevelt, ce président républicain (1901-1909) qui avait lancé une grande règlementation antitrusts. C’est un conservatisme entre autres fiscal (qui croit vraiment à la baisse d’impôts) mais qui prône en même temps un Etat fédéral très activiste, qui n’hésite pas à règlementer quand c’est dans l’intérêt du citoyen. S’il était président aujourd’hui, il soutiendrait par exemple le sauvetage des banques qui sont dans de très grandes difficultés après la crise du subprime.
Mais il y a d’autres dossiers sur lesquels McCain est un idéologue qui ne s’est jamais éloigné de la position la plus conservatrice. Sur la question de l’avortement, il a par exemple un passé qui est impeccable pour les opposants à l’IVG.
Et là, c’est un conservateur dur, ce qui aura un impact sur l’un des prochains thèmes de la campagne : la Cour suprême, car le prochain président quel qu’il soit aura sans doute au moins une nomination, peut-être deux et même trois. Et vu l’équilibre actuel de la Cour suprême d’un point de vue idéologique, une, deux ou trois nominations, c’est quelque chose qui peut la faire basculer dans un camp extrêmement conservateur. Or, les magistrats y sont nommés à vie et peuvent rester 20, 30, 35 ans… Donc, en procédant à ces nominations, un président projette une espèce de capsule juridique dans le futur.
Or, la Cour suprême se prononce sur des choses déterminantes, comme la séparation entre l’Eglise et de l’Etat, les prérogatives du pouvoir exécutif face au Congrès, la lutte contre le terrorisme, le port d’armes et le droit à l’intimité… On est sur des dossiers capitaux et très concrets dans la vie des Américains.
C’est sur ces thèmes que McCain va tenter de séduire les électeurs les plus conservateurs ?
On le voit très peu de France, mais John McCain a fait une série de gestes très forts sur la question religieuse, le mariage gay, l’avortement…
On sait qu’il a perdu l’investiture républicaine en 2000 face à Bush parce qu’il n’était pas assez à droite, pas assez conservateur, en particulier en Caroline du Sud.
Donc, il a vraiment subi de plein fouet la vengeance que pouvaient exercer les chrétiens conservateurs sur lui, et là, il est en train de les courtiser très directement. C’est par ce biais qu’il veut montrer ses lettres de noblesse conservatrices.
Au risque de se priver de la partie la plus modérée du parti …
Oui. Mais, cette remarque serait vraiment valable si on était dans une année de flux avec deux candidats à égalité. Mais dans une campagne, avant même d’aller conquérir des électeurs au centre, dont on sait par expérience qu’ils sont extrêmement pusillanimes, il faut s’adresser aux électeurs de base du parti ici, les chrétiens fondamentalistes – parce qu’on sait exactement sur quoi et quand ils se mobilisent. Pour eux, la décision, ce n’est pas voter démocrate ou républicain, mais voter républicain ou rester à la maison.
C’est une des leçons absolues de Karl Rove (ex-«spin doctor» de George W. Bush, NDLR): le centre, c’est bien, mais c’est tout sauf une assurance élection.
Donc, dans un premier temps, on stabilise la base du parti. Et ensuite, une fois qu’elle est rassurée, on passe à la seconde étape qui est d’ouvrir aux indépendants.
Mais cela dépendra aussi du positionnement de Barack Obama : ces dernières semaines, il s’est très fortement recentré parce que la base démocrate est déjà plus mobilisée. Comme McCain est en position de challenger par rapport à lui, il va se positionner en fonction d’Obama. Car c’est Obama qui fixe la ligne.
Comment McCain peut-il faire pour ne pas donner l’impression que son élection reviendrait à un 3e mandat de Bush ?
C’est bien évidemment le centre de la stratégie de McCain, mais il ne peut pas ne pas s’occuper des gens qui restent fidèles à Bush. Car, il faut bien distinguer les records d’impopularité de Bush en tant que personne et les électeurs du Parti républicain qui vont aller voter le 4 novembre 2008. Parmi eux, il y a des déçus, des gens qui sont en colère, mais Bush reste parmi ces gens-là une personne très populaire. C’est une espèce de héros du mouvement conservateur. Il faut donc d’un côté que McCain se démarque, d’un autre qu’il ne soit pas trop critique.
Les Républicains savent bien qu’ils vont perdre dans certaines régions, mais l’idée c’est de compenser ces pertes, les limiter, rogner sur l’électorat démocrate en parlant du mariage gay aux noirs, de l’avortement aux hispaniques, au droit de porter des armes aux électeurs qui sont syndiqués et plus tradionnalistes sur cette question.
Et dans les surburbs lointains, ils vont mettre le paquet pour gagner 99% des gens identifiés comme étant des électeurs potentiels républicains. C’est une élection en quelque sorte extraordinaire dans ces circonstances mais qui va se jouer sur des thèmes super traditionnels à savoir : la capacité de mobilisation des deux partis, leur tactique et leur organisation, le «get out the vote», c’est-à-dire aller chercher les électeurs un par un et l’identification de trois ou quatre Etats-clefs (Ohio, Arizona, Virginie et même la Caroline du Nord). Et comme disent les Américains, après, c’est politics as usual.
McCain peut-il compter sur son vice-président pour séduire l’électorat conservateur ?
Il faut remonter à 1960 pour voir un colistier avoir un impact sur le résultat d’une présidentielle : cette année-là, Kennedy gagne clairement parce que Johnson le fait gagner dans le Texas. Sinon, on aurait eu Nixon dès cette année-là. Mais c’est la dernière fois qu’un candidat à la vice-présidence a eu un rôle aussi important dans une élection.
D’autre part, il faut souligner qu’un vice-président n’a jamais été aussi puissant que Dick Cheney et cela vient dans la foulée d’un autre vice-président puissant : Al Gore sous Clinton. Donc la fonction est devenue plus importante au fil du temps. D’autre part, McCain a 72 ans. Et, à certains moments, il les fait vraiment. Un récent sondage a d’ailleurs montré que les Américains étaient plus préoccupés par son âgé que par l’appartenance ethnique d’Obama.
Mitt Romney a le vent en poupe chez les conservateurs …
Oui, un ticket McCain/Romney serait logique. Car si on a un vice-président puissant, il faut pouvoir fonctionner dans l’intimité des cercles de pouvoir et avoir un degré de complicité que n’ont pas par exemple Barack Obama et Hillary Clinton mais que peuvent construire Romney et McCain.
L’un et l’autre sont des pragmatiques, ils ne se sont pas fréquentés, ils ne viennent pas des mêmes milieux au sein du Parti républicain. Mais ils n’ont pas d’éléments qui les rendent incompatibles. McCain, c’est une espèce d’iconoclaste à l’intérieur du parti. Romney, c’est la communauté des affaires du parti. C’est un choix qui tranquilliserait le milieu des affaires, qui est inquiet parce que McCain n’est pas rassurant d’un point de vue économique. Il satisferait aussi beaucoup de conservateurs du point de vue de la religion et des valeurs. Et, c’est quelqu’un qui a l’aura de la compétence, et l’expérience du pouvoir local. C’est quelqu’un dont on se dit qu’il peut devenir président rapidement.
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