The Biggest Threat to America

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Le pire risque pour l’Amérique

Au point de gravité où elle est parvenue, la crise américaine engendrera probablement des reclassements radicaux qui ont déjà commencé. On peut compter en tout cas sur la remarquable aptitude des marchés à tous les ajustements nécessaires, dans la cruelle indifférence de leurs lois. Tout ayant un prix, les épaves trouveront forcément des repreneurs, ceux qui peuvent se permettre de les racheter en prenant le risque de leur valorisation. Ce seront principalement les fonds pétroliers et asiatiques et, accessoirement, quelques banques étrangères échappées au massacre acquérant quelques « appartements » des groupes démantelés. Ce grand marché de l’occasion dessinera un nouveau visage à la cité financière de New York, aux capitaux plus bariolés et dotée d’une sorte d’extraterritorialité. A force d’avoir exploité jusqu’à la corde la stratégie de l’endettement systématique, l’Amérique en aura été réduite à aliéner une bonne part de ses bijoux de famille.

Mais au-delà des structures financières, la crise a commencé d’ébranler la conscience publique. En atteste le refus du premier plan Paulson par la Chambre des représentants ; ou le comportement embarrassé des deux candidats présidentiels sur le sujet, qui inspire un violent ressentiment dans toutes les catégories sociales. La faillite du crédit entraîne celle de la confiance, possible présage d’une défiance future à l’égard de l’endettement ; et quand on sait qu’il symbolisait jusqu’ici le dynamisme de la société, on ne peut encore mesurer les conséquences possibles d’un tel retournement, s’il devait se confirmer.

La technicité absconse du plan de sauvetage, dont seul le coût pour le contribuable était trop évident, ne fait qu’aggraver la méfiance à l’égard des autorités fédérales. Traditionnelle chez les républicains, elle se renforce parce que cette solution « socialiste » émane de leur propre camp. Habituellement moins marquée chez les démocrates attachés au souvenir de l’interventionnisme rooseveltien, cette méfiance risque d’ébranler certaines de leurs convictions.

Il en résulte une certaine déréliction politique qui désarçonne les discours des deux camps et pourrait bien favoriser d’autres affrontements sécrétés par la base, d’ordre catégoriel, géographique ou racial. Enfin et surtout, une nouvelle fureur contre les « élites » risque de mettre à mal le précieux ressort du modèle américain selon lequel la réussite des autres ne suscite pas la jalousie mais la détermination de faire aussi bien qu’eux. Ce serait la conséquence la plus délétère de la faillite des financiers. Ils ne se seraient ainsi pas seulement déconsidérés eux-mêmes. Ils auraient aussi porté atteinte au culte de la réussite, qui a toujours été le sel de cette nation.

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