Une crise de confiance inédite, par Marie-Béatrice Baudet et Antoine Reverchon
LE MONDE | 09.10.08 | 13h14 Mis à jour le 09.10.08 | 13h14
Quelle douche froide ! Sept banques centrales, y compris la Banque centrale européenne (BCE), diminuent de concert, mercredi 8 octobre, leurs taux directeurs pour relancer la machine économique – du jamais-vu depuis l’après-11 septembre 2001 – sans réussir pour autant à enrayer la spirale baissière des Bourses. Paris, Francfort, Londres ont continué de plonger, le Dow Jones terminant, lui, à – 2,21 %. Quelques heures plus tôt, “loin de toute pensée conventionnelle ou de dogmes dépassés”, comme le commentait Gordon Brown, le Royaume-Uni annonçait la nationalisation partielle de ses huit plus grandes banques. Peine perdue. Les marchés sont restés sourds. Et la confiance n’est plus là.
La crise de 2008 est devenue une crise de confiance, comme le furent beaucoup d’autres crises systémiques avant elle. Les experts des ressorts de la confiance en économie comprennent donc, en partie, ce qui est en train de se jouer aujourd’hui. Et qui illustre une fois de plus le fonctionnement particulier des marchés.
A la suite du krach boursier de 1987, des enquêtes ont été menées auprès des investisseurs afin de déterminer les raisons de la panique. Comme le raconte André Orléan, directeur de recherche au CNRS, une liste de dix nouvelles – hausse des taux d’intérêt, déclaration alarmiste du secrétaire américain au Trésor sur le dollar, etc. – pouvant être considérées comme responsables de la crise, leur a été proposée. Aucune ne fut retenue. Les investisseurs, tant individuels qu’institutionnels, mirent en avant, pour expliquer leur comportement massif de vente, la chute de 200 points du Dow Jones à l’ouverture de la Bourse le 19 octobre 1987 et les chutes de prix à la fin de la semaine précédente. “L’effondrement des marchés a sa propre dynamique qui ne s’appuie pas forcément à court terme sur la réalité économique”, explique M. Orléan. C’est le concours de beauté décrit par Keynes : la valeur réelle de l’actif compte moins que la représentation que le marché s’en fait.
Beaucoup d’autres points – mimétisme des comportements, incertitude sur la valeur présente et à venir des actifs, etc. – ont été mis en avant par les économistes. “Ce qu’il faut retenir, insiste Jean-Paul Pollin, professeur d’économie à l’université d’Orléans, c’est que les acteurs des marchés financiers ne réagissent pas forcément… selon les logiques de marché.” Les économistes américains Douglas Diamond et Philip Dybwig, rappelle M. Pollin, ont analysé, au début des années 1980, le cas des paniques bancaires. Si un épargnant fait un dépôt à sa banque, c’est parce qu’il pense que celle-ci lui en garantit la liquidité. Mais s’il voit des épargnants aller retirer leur argent, il se précipitera pour faire de même. Ce n’est pas une conduite absurde, au contraire. L’épargnant pense qu’il y a suffisamment de gens irrationnels pour menacer la fiabilité de sa banque, même pour de mauvaises raisons.
Même si la crise 2008 rappelle 1929, 1987 ou l’effondrement de la bulle Internet en 2001, les mécanismes de la perte de confiance gardent néanmoins un caractère inédit, lié à deux particularités : la nouveauté et la complexité des actifs qui ont causé le mal ; et son spectre planétaire.
Aucun économiste ne s’avance pour préciser comment les actifs “pourris”, au coeur de la panique boursière, et auxquels plus personne n’ose associer un prix, vont être purgés. Il n’y a plus de consensus – pourtant indispensable à la confiance – entre les acteurs du marché pour fixer la valeur réelle des produits qu’ils détiennent dans leurs portefeuilles. “Nous payons là le prix de l’innovation financière (produits dérivés et structurés) qui s’est fortement développée dans les années 1990, explique M. Orléan. Et nous assistons pour la première fois à leur crise.”
ASYMÉTRIE D’INFORMATION
Comment sortir, par exemple, du piège des Credit Default Swaps (contrats d’échange de risque de défaut) dont le principe est celui d’une assurance, à cette différence près qu’on s’y assure… contre le risque couru par un tiers. L’économiste Paul Jorion évalue le marché américain des CDS à 62 000 milliards de dollars, un chiffre proche du total des dépôts bancaires à l’échelle de la planète. “Quand on pense, explique Pierre Cahuc, professeur d’économie à l’Ecole polytechnique, que certains établissements financiers proposaient à leurs clients des actifs dont la description tenait en un manuel de 150 pages, on comprend mieux que le marché interbancaire soit gelé. Chacun se méfie de l’autre.” En termes techniques, cela s’appelle une asymétrie d’information, décrite par George Akerlof, Joseph Stiglitz et Michael Spence (tous trois Prix Nobel d’économie en 2001) sur le marché des voitures d’occasion, où l’acheteur se demande toujours si le vendeur ne lui ment pas sur la valeur réelle de son véhicule. Mais pour beaucoup d’économistes, l’asymétrie d’information qui sévit aujourd’hui sur les marchés financiers est d’une proportion inégalée.
Deuxième point qui expliquerait pourquoi la confiance est si longue et si difficile à rétablir actuellement : le caractère mondial de la crise. Si plusieurs débâcles précédentes ont eu des retentissements planétaires, aucune n’a impliqué simultanément autant d’Etats que la crise de 2008. Après les Etats-Unis, l’Europe, les pays émergents… Chacun s’interroge sur la possible défaillance d’une banque indonésienne, russe, coréenne, brésilienne. Et cette immensité n’est pas sans conséquence. Car si les marchés mondialisés coordonnent spontanément leur défiance, il n’existe aucune autorité internationale dont la légitimité permettrait de redonner la confiance. Les Etats-Unis n’ont plus cette puissance, surtout pas à quelques semaines d’une élection présidentielle qui peut faire basculer leur politique économique ; l’Europe a montré ses différends et le Fonds monétaire international (FMI) n’en a plus les moyens financiers. Fini le temps où un pays en crise appelait à sa rescousse une personnalité qui allait rassurer. Les périmètres des crises sont ans frontières. Le temps des Raymond Poincaré ou des Antoine Pinay sont révolus.
En procédant comme le 8 octobre à une baisse des taux concertés, les Européens, les Suisses, les Canadiens, les Américains, les Suédois, les Anglais, les Chinois ont montré que la voie de la coordination mondiale était possible. Elle est en tout cas indispensable pour restaurer la confiance et réussir à remettre le système en marche, partout en même temps.
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