S’il est un laboratoire de l’Amérique de demain, c’est ici. Boulder est l’une des villes les plus “vertes” des Etats-Unis. Plus qu’ailleurs, on roule à vélo, on recycle, on invente. “Green is the new gold” : la ruée sur le vert a succédé à la ruée vers l’or. Plusieurs des grands instituts scientifiques américains y sont installés, dont le “joyau de la couronne”, comme dit le gouverneur démocrate Bill Ritter : le Laboratoire national sur les énergies renouvelables.
A 1650 mètres d’altitude, Boulder mélange intellos et sportifs. Sur le campus, on croise aussi bien des Prix Nobel de physique (2001, 2005) que des professionnels de l’escalade. A moins que ce ne soit l’un des quatorze scientifiques qui ont participé au panel intergouvernemental de l’ONU sur le changement climatique (Nobel de la paix 2007 avec AlGore). En 2002, Boulder a adopté sa propre “résolution de Kyoto”. Quatre ans plus tard, elle est devenue la première ville aux Etats-Unis à faire payer une taxe sur les émissions de dioxyde de carbone (proportionnelle à l’impôt foncier).
Comme souvent dans l’Ouest, les innovations viennent de la population, qui fait pression par référendum. En novembre 2004, alors qu’une majorité votait pour George Bush, les habitants de Boulder ont adopté l’amendement37, imposant que 10% de l’électricité consommée provienne des énergies renouvelables. Au début, la compagnie X-Cel a tenté de s’y opposer. Maintenant, la firme fait la promotion de “Smart Grid City” : la ville du “réseau intelligent”, première du genre aux Etats-Unis.
L’avocat Dennis Arfmann est l’un des pionniers du smart grid. En 2007, il a installé des panneaux solaires sur sa maison. Il a profité d’une subvention de la compagnie et d’une réduction d’impôt du gouvernement fédéral. Il n’a déboursé que 30% du financement total (soit 14000 dollars, près de 9000 euros). En un an, non seulement il n’a payé aucune facture d’énergie mais il a revendu de l’électricité à la compagnie. C’est la démocratisation tous azimuts vantée par Al Gore, un système où les particuliers contribuent à la consommation générale. Mais la décentralisation pourrait ne pas durer. X-Cel a prévu de construire sa propre usine solaire.
Dennis Arfmann codirige la division “changement climatique” de l’un des principaux cabinets juridiques des Etats-Unis, Hogan and Hartson, une firme qui emploie 1200 juristes dans le monde. L’unité a été créée en 2002 dans la foulée de l’adoption du protocole de Kyoto. “Le secteur privé voulait comprendre et se préparer”, explique-t-il. La firme a aussi aidé à mettre en place le cadre juridique des marchés du carbone en Russie et en Europe de l’Est.
De son bureau de Walnut Street, l’avocat assiste aux grandes manuvres industrielles et financières autour des énergies nouvelles, à la compétition pour les turbines et les piles qui manquent encore pour stocker l’or “vert”. Berkshire Hathaway, la firme du milliardaire Warren Buffett, l’un de ses clients, vient d’acheter 10% des parts dans une usine chinoise de batteries. Vestas, le fabricant danois de turbines, a prévu d’ouvrir dans le Colorado deux nouvelles usines, qui créeront 1500 de ces “jobs verts” dont les candidats promettaient avant la crise de faire les fondements de la croissance. L’est du Colorado, sur des terres agricoles, désespérément plates, les fermiers rentabilisent maintenant leurs terres en distribuant les droits à faire pousser des éoliennes. Préfigurant le Midwest de demain, le Colorado réinvente ses zones agricoles en “bassins de vent”.
Quel que soit le prochain président, le Congrès avait prévu de se pencher sur ce que l’administration Bush a toujours refusé : une législation contraignante, visant à réduire les émissions de 80% d’ici à 2050, et instaurant un marché du CO2. La crise financière est en train de remettre les perspectives en question. Certains républicains commencent à dire qu’imposer des limites aux émissions augmenterait le coût de l’énergie, ce qui ne leur semble pas être une bonne idée en ce moment. Les démocrates reconnaissent que le mécanisme de vente aux enchères des permis d’émission est probablement compromis.
Dans le secteur privé, c’est l’incertitude. “Un certain nombre des projets sur lesquels nous travaillons sont reportés”, explique Dennis Arfmann, par exemple, le projet de “charbon propre” dans le Wyoming, sur lequel il travaillait. L’avocat montre néanmoins la lettre signée par 153 représentants démocrates le 2 octobre. A la veille de voter le plan de stabilisation de Wall Street, ces élus ont tenu à faire savoir qu’ils n’accepteront pas que la prochaine administration relègue au second rang ce qui devait être la “nouvelle” nouvelle économie.
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