Elections américaines : Si Barack Obama entrait à la Maison-Blanche…
Alors que les derniers sondages avant lélection présidentielle américaine du mardi 4 novembre donnent toujours le sénateur de lIllinois gagnant, les États-Unis ont conscience de limportance historique de sa candidature
Des millions de dollars de dons, des dizaines de milliers de spectateurs dans les stades pour les derniers meetings de campagne, des milliers de volontaires faisant du porte-à-porte dans les États clés Jamais une campagne présidentielle aux États-Unis naura suscité autant denthousiasme chez les Américains et chez les commentateurs. Et pour cause : le choix quont mardi 4 novembre les citoyens au pays de lOncle Sam est bien plus que celui prévu par la Constitution américaine entre deux candidats en lice pour la présidence.
Il ne sagit pas seulement de choisir entre un démocrate et un républicain, mais de décider denvoyer ou non à la Maison-Blanche le fils, comme lécrit Barack Obama dans son autobiographie, d« un homme noir comme le charbon et dune femme blanche comme le lait », et dont le second prénom nest ni Walker, ni Jefferson ou Fitzgerald, mais Hussein (voir le parcours de Barack Obama en images).
Un homme de couleur à la tête de la première puissance mondiale : le symbole serait particulièrement fort, pour lAmérique et pour le reste du globe. Les États-Unis franchiront-ils le pas ?
Cette élection est en fait un référendum
Cinquante ans après le début du combat pour les droits civiques, quarante ans après lassassinat de Martin Luther King, les Américains oseront-ils écrire lhistoire et accomplir ce qui, il y a peu, était encore impensable ? Un homme qui, quand il était jeune enfant, naurait pas eu le droit de sasseoir à la table des Blancs dans une bonne partie du pays, peut-il devenir président ?
Car plus quun match Obama-McCain, cette élection est en fait un référendum, pour ou contre le sénateur de lIllinois. Depuis plusieurs semaines, le camp républicain a dailleurs renoncé à mettre en avant son propre programme. John McCain et sa colistière Sarah Palin se contentent dattaquer leur adversaire, laccusant davoir de mauvaises fréquentations et de nêtre en fait quun « socialiste » avide de « redistribuer la richesse », un concept toujours suspect aux États-Unis.
« En temps normal, cet argument aurait porté, estime James Ceaser, professeur de sciences politiques à luniversité de Virginie. Il ne faut pas oublier que Barack Obama est lun des candidats du Parti démocrate les plus à gauche depuis un bon nombre dannées. Mais compte tenu de la crise financière et économique, compte tenu de limpopularité record du président Bush, je ne sais pas si, cette année, ça suffira. Les gens veulent du changement sans trop savoir précisément ce quils veulent et quel serait le contenu de ce changement. Chez Barack Obama, limage est très importante. »
Si le pays tout entier retient son souffle, lanxiété est encore plus forte dans la communauté noire, consciente de loccasion historique de ce scrutin. Une communauté consciente également quen cas déchec, pareille possibilité ne soffrira sans doute pas de sitôt (voir la carte de la population noire aux Etats-Unis).
“Sa victoire, ce serait incroyable”
Pourtant, Barack Obama nappartient pas à lAmérique noire traditionnelle : il nest pas né dans cette culture qui plonge ses racines dans lesclavage dabord, dans les ghettos urbains ensuite. Son père était kényan, sa mère, une femme blanche du Kansas, et cest à Hawaï quil a été élevé par ses grands-parents maternels.
Pourtant, le jeune sénateur a été rapidement adopté, et sa femme Michelle, issue des quartiers noirs modestes de Chicago, la grandement aidé à être considéré par la communauté afro-américaine comme lun des leurs.
« Sa victoire, ce serait incroyable, explique Brenda, infirmière en banlieue de Washington et fan de la première heure. Non pas parce quil mènerait une politique pour nous. Certainement pas, il serait le président de tous. Mais parce que je pourrais dire à mes enfants : Vous voyez, vous pouvez faire ce que voulez. Rien nest impossible si vous le voulez. Et pas seulement dans le sport ou la musique »
Obama a pris garde déviter les clichés de «lhomme noir en colère»
Mais pour cette Amérique, la portée dune victoire de Barack Obama ne sarrêterait pas là. Car elle donnerait aussi un sérieux coup de vieux aux leaders historiques, plutôt discrets pendant la campagne. Une discrétion qui sexplique par le refus du candidat démocrate dapparaître comme le « candidat noir » depuis quil a lancé sa candidature, Barack Obama a bien pris garde déviter tous les clichés de « lhomme noir en colère », pour pouvoir prétendre incarner les espoirs de tous.
Mais une discrétion qui sexplique aussi par une véritable divergence de fond. « Il ne sadresse pas aux Noirs de la même façon, explique Reuben Brigety, militant démocrate et chercheur dans un «think tank» (cercle de réflexion) de gauche, le Center for American Progress à Washington. Il dit notamment aux pères noirs dassumer leurs responsabilités vis-à-vis de leur femme et, plus encore, de leurs enfants. Moi, je sais que mes enfants sont déjà parmi les 30 % les mieux lotis de la communauté noire pour la seule raison quils vivent avec leurs deux parents. Personne ne nous force à faire des enfants et à les abandonner ensuite avec leurs mères. Mais ce discours, Jesse Jackson et les autres de la vieille école ne laiment pas : pour eux, tout est affaire de discrimination, économique ou sociale. Une victoire de Barack Obama, ce serait aussi une claque pour eux. »
Gilles BIASSETTE, à Wahington
It is no longer ‘if’.
The fat lady has sung.