Colors of Stars

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L’éditorial de Issa GORAIEB

Couleurs d’étoiles

En Amérique bien sûr, mais aussi un peu partout dans le monde, rien sans doute ne sera plus comme avant : exaltant pour les uns, vaguement dérangeant sinon préoccupant pour les autres, tel est le sentiment qui n’a cessé d’habiter ces derniers temps des millards d’humains. Et qui est appelé à subsister, quel que soit (et c’est bien là le plus extraordinaire) le résultat officiel et définitif de l’élection présidentielle US.

Rien de ce qui est américain ne nous a jamais été indifférent. Grands ou petits en effet, tous les peuples de la terre se sont toujours sentis concernés, de près ou de loin, par les retombées de cette kermesse électorale, étalée à grands frais sur des mois de campagne effrénée, rééditée tous les quatre ans par la première puissance politique, militaire et économique. Qu’en serait-il donc d’un scrutin en tout point historique se déroulant sur fond de cataclysme financier international et d’engagements guerriers en Irak et en Afghanistan, et qui ne pouvait déboucher, de surcroît, que sur l’une ou l’autre de ces deux sensationnelles premières : un Noir à la Maison-Blanche ; ou bien alors une vice-présidente des États-Unis en jupons.

Dans les semaines à venir, les experts plancheront fièvreusement sur les orientations de la nouvelle administration américaine, qu’il s’agisse de crise des marchés, de politique étrangère, de lutte contre le terrorisme, d’énergie ou d’environnement. Reste le fait que nous sommes les témoins d’un extraordinaire changement, d’une véritable révolution qui, pour éclater, n’aura pas attendu qu’ait été prononcé le verdict des urnes. Dans un pays où était couramment pratiquée, il y a un demi-siècle seulement, la ségrégation raciale, et qui est encore loin d’avoir chassé tous ses démons, voilà en effet qu’un métis a osé revendiquer une tranche royale du légendaire rêve américain, même s’il s’est bien gardé de se présenter comme le candidat de la population afro-américaine, même si de nombreux Noirs lui ont reproché sa frilosité. Toujours est-il que rompant avec la tradition, déboutant plus d’une de ses propres icônes, le Parti démocrate a osé à son tour faire d’Obama son champion. Et pour finir, des dizaines de millions d’électeurs ont osé assumer jusqu’au bout leur option en lui apportant leurs suffrages.

En soi, tout cela est énorme. Et tout cela ne manquera pas d’être dûment médité aux quatre coins de la planète, de susciter ici interrogations et appréhensions, de raviver là les frustrations comme de stimuler les espérances. Ainsi, ce n’est pas seulement par répulsion pour tout ce que représente à leurs yeux le républicain McCain que le Cubain Fidel Castro, le Vénézuélien Chavez et le Bolivien Morales ont claironné leur sympathie pour son adversaire issu d’une union américano-kenyane. Un Noir dirigera un jour un pays européen, même si ce n’est probablement pas demain la veille, prédisait il y a quelques jours le seul membre du gouvernement britannique d’ascendance africaine. Et c’est la même vague mondiale d’obamania qui portait hier un secrétaire national beur du Parti socialiste français à réclamer la diversité ethnico-culturelle à la tête de la gauche, et non plus seulement sur les stades de football ou les scènes de rap.

Une fois de plus, c’est durant la campagne électorale en réalité qu’a été écrite une page d’histoire qui pèsera lourd sur l’avenir des États-Unis et, par ricochet, du reste du monde. C’est d’Amérique qu’est partie la mondialisation. Ce que nul n’avait imaginé, c’était la lente, la laborieuse mondialisation du genre humain.

Issa GORAIEB

igor@lorient-lejour.com.lb

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