Réalisant un livre sur “les couples en Amérique”, une photographe s’est entretenue avec le jeune couple, il y a douze ans. Mais l’éditeur s’est montré peu intéressé. Et l’entretien n’est jamais paru. Le Monde le publie en exclusivité
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Michelle Obama : Je m’appelle Michelle Obama et j’ai 32 ans.
Ce projet s’appelle “Des couples en Amérique”. J’essaye de resituer les relations personnelles d’un couple dans un contexte sociologique plus large. Si vous pouviez m’en dire un peu plus sur vos origines sociales et familiales, votre rencontre avec Barack, vos relations avec lui et vos objectifs dans la vie.
M. O. : Je viens d’un milieu afro-américain très traditionnel. J’ai grandi à Chicago, dans les quartiers du South Side, pas très loin de l’endroit où nous vivons aujourd’hui, à Hyde Park. Je suis très proche de ma famille, j’ai un frère aîné et nos parents appartiennent à la classe populaire. Ils nous ont transmis des valeurs, nous avons fréquenté des établissements privés, ici à Chicago, et après le lycée j’ai étudié dans des universités de la Côte est, à Princeton et à la faculté de droit d’Harvard.
D’abord pour passer une licence ?
M.O. : Oui.
Que faisait votre père ?
M.O. : C’était un employé municipal, un pompier affecté à la surveillance d’une station d’épuration d’eau.
Votre mère travaillait ?
M. O. : Oui, jusqu’à ce que j’entre au collège. Après, elle était mère au foyer dans un quartier où seules deux mères ne travaillaient pas, dont la mienne.
Ce qui est inhabituel.
M. O. : Oui.
Mais aller à Princeton sort aussi de l’ordinaire.
M. O. : Oui.
Vous deviez être une élève brillante.
M. O. : Je me débrouillais bien. Et j’ai eu la chance d’être parrainée pour l’Ivy League (les universités les plus prestigieuses Harvard, Yale, Columbia, Brown, Cornell, l’université de Pennsylvanie, de Portsmouth). Mon frère, de deux ans plus âgé que moi, était boursier et jouait bien au basket. Il avait de bonnes notes, c’était un bon athlète, et il avait été parrainé pour entrer à Princeton, où il avait été admis. Du coup, j’ai estimé que je pouvais y arriver aussi. Cela m’a familiarisée avec l’Ivy League.
Et l’a rendue plus accessible ?
M. O. : Et l’a rendue plus accessible. Vous intégrez cet objectif à votre écran radar et une fois lancée dans cette voie, vous commencez à chercher. La faculté de droit était une option possible. Et après ça qu’est-ce que j’allais faire ? Pour moi, il s’agissait moins d’une décision réfléchie que de la possibilité de bien gagner ma vie, d’exercer une profession prestigieuse et valorisante socialement.
Mais ce n’était pas vraiment ce que vous recherchiez.
M. O. : Ce n’était pas ce que je recherchais, mais je ne le savais pas. Quand je suis sortie de la faculté de droit, j’ai exercé dans un grand cabinet d’avocats. J’y ai passé trois ans et cela ne m’a pas plu. Je me disais quel intérêt de faire des études pareilles si c’est pour être malheureuse.
A tous points de vue j’étais complètement détachée de ma communauté. Les clients et les affaires sur lesquelles je travaillais ne me motivaient pas. Quand je me levais le matin, je n’étais pas contente d’aller au travail. J’ai donc décidé de m’éloigner de l’exercice libéral, j’ai travaillé pendant deux ans comme assistante du maire (de Chicago) dans l’administration municipale, puis je suis passée assistante du responsable de la planification et du développement économique.
Rencontrer des gens ordinaires et traiter de questions concrètes concernant la ville m’a donné un avant-goût de la politique. Puis j’ai dirigé un programme appelé Public Allies, qui est une formation de développement managérial que j’ai créée ici à Chicago, ce qui m’a mise en contact avec les jeunes et m’a obligée à entreprendre quelque chose par moi-même, à le gérer et à le faire vivre. J’ai donc mis ce projet sur les rails, il existe depuis trois ans et cela marche plutôt bien.
Maintenant je vais rejoindre la communauté universitaire où j’ai l’intention de proposer le même type d’activités pour une population différente. Cela vous résume à peu près d’où je viens. Je suis une fille de Chicago, j’y suis née, j’y ai été élevée et j’aime cette ville. Quant à ma rencontre avec Barack, eh bien, cela s’est passé au cabinet d’avocats où il travaillait pendant l’été…
C’était chez Sidney and Austin ?
M. O. : C’était au cabinet Sidney and Austin (en 1989). Il avait obtenu un poste de stagiaire pour l’été. Je venais d’être promue associée. On m’avait demandé de lui servir de mentor : je devais prendre en charge un étudiant et j’avais hérité de Barack. Je m’acquittais de ma tâche avec beaucoup de sérieux, je lui donnais des conseils, je le promenais un peu partout, je m’assurais que tout allait bien pour lui, je lui trouvais des missions qui l’intéressaient et après un mois à ce régime, il m’a invitée à sortir avec lui et je me suis montrée très réticente.
Je pensais : “Non, je suis votre conseillère, ce serait mal d’accepter un rendez-vous avec vous”, mais mes hésitations n’ont pas duré longtemps, et cet été-là, on a commencé à se fréquenter. Une fois diplômé de la faculté de droit, il est revenu plusieurs étés. Nous nous sommes fiancés l’été suivant l’obtention de son diplôme.
Il sortait tout juste de la faculté de droit.
M. O. : Oui, c’est ça. Voila la version abrégée de notre rencontre et de notre engagement mutuel.
Que pensiez-vous de lui quand vous le pilotiez dans ce cabinet d’avocats ?
M. O. : C’était bizarre, cette agitation autour de cet étudiant de première année, si brillant, si beau, si intelligent, tout le monde n’en avait que pour Barack… Moi, je suis plutôt du genre sceptique, je pensais, ouais, c’est sûrement un crétin, enfin… – j’étais très sceptique parce que j’ai toujours pensé que quand les juristes s’extasient sur quelqu’un, ils négligent les qualités sociales, donc je me disais, il est génial, mais il est sûrement très ordinaire.
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Propos recueillis par Marina Cook, traduction de l’anglais par Hélène Prouteau
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