La toute-puissance du dollar reste d’actualité, mais la Chine et le Brésil ont décidé de faire ensemble un premier petit pas pour la remettre en cause et s’en affranchir.
Pékin et Brasilia se sont mis d’accord pour que les tarifs régissant leurs échanges commerciaux soient fixés dans leurs monnaies respectives – le renminbi (ou yuan) et le real. Si cette expérience tient la route, la suprématie mondiale du billet vert s’en trouvera affaiblie.
Certes, les Etats-Unis sont le plus grand débiteur de la planète, ils se permettent des pratiques monétaires peu orthodoxes, et leur déficit commercial atteint des sommets plus qu’insupportables. Mais ils ont l’énorme avantage de pouvoir emprunter en dollars, leur propre devise : c’est ce que les économistes appellent leur “privilège exorbitant”. Par ailleurs, leur monnaie est utilisée comme unité de compte dans toutes sortes de situations, pour valoriser le cours du pétrole comme pour comparer le produit intérieur brut (PIB) des différents pays entre eux.
COUP DE CANIF À LA TRADITION
La force de l’usage contribue à conserver ce statut au billet vert. Il y a trente ans, les Etats-Unis dominaient indiscutablement le monde sur tous les plans : économique, politique, militaire et culturel. S’ils ont perdu depuis de leur superbe, les autres nations ont continué de les considérer comme l’autorité de référence, et… de raisonner en dollars. Les habitudes ont la vie dure.
En cas de succès, l’accord entre Pékin et Brasilia donnerait un coup de canif à ladite tradition. Mais tant que le cours mondial de référence de la plupart des matières premières restera exprimé en dollars, aucune évolution significative n’est à attendre.
L’énormité des sommes que les Etats-Unis doivent au reste du monde leur permet aussi de garder un ascendant certain. Les pays qui leur font crédit ont toutes les raisons de s’accommoder de ce fameux privilège exorbitant, car ils profitent de ce que l’on pourrait appeler un étrange arrangement : en donnant aux consommateurs américains les moyens d’acheter des biens importés, ils assurent des débouchés et des emplois à leur propre économie. Faire supporter le risque de change au consommateur ne pourrait que compromettre ce précieux levier.
La conjonction des deux facteurs – le poids de la tradition et celui de la dette américaine – fait que le règne du dollar n’est pas près de s’achever, même si l’essai sino-brésilien est transformé.
Il faut souligner toutefois que cette initiative exprime l’agacement que le rôle privilégié du dollar inspire à la Chine, un sentiment déjà manifesté à plusieurs reprises, et par des voies plus ou moins officielles. L’idée d’un monde libéré de l’emprise du billet vert fait son chemin. Moscou et New Delhi pourraient se joindre au mouvement et permettre aux devises du BRIC (Brésil-Russie-Inde-Chine) de former le bloc des “4 R” (real-rouble-roupie-renminbi). La fin du règne du dollar sera peut-être lente. Elle n’en est pas moins inéluctable.
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