A bien des égards, le processus lancé en novembre 2008 au G20 de Washington et amplifié le mois dernier à Londres représente un succès incontestable pour l’Europe, et pour la relation franco-allemande en particulier. C’est en effet l’Union européenne, sous présidence française, qui a défini et fait prévaloir un agenda ambitieux pour la réforme du système financier international, en y associant les grands pays émergents et en convaincant les Etats-Unis de s’y rallier.
Le succès de la réunion du 2 avril à Londres, y compris sur des sujets jugés il y a peu intouchables (paradis fiscaux, réglementation des « hedge funds », rémunérations…), et la pleine participation de la nouvelle administration américaine, confirment le bien-fondé de l’initiative européenne. Certes, la sensibilité personnelle de Barack Obama et de son secrétaire au Trésor Tim Geithner, le scandale des bonus d’AIG, la croisade des autorités américaines contre le secret bancaire suisse, et plus généralement l’indignation de Main Street à l’égard de l’incurie de Wall Street, ne sont pas étrangers à l’adhésion de Washington à cet agenda réglementaire. Mais il n’y a plus aujourd’hui de divorce transatlantique sur la nécessité de revoir la régulation du système financier mondial.
Pour autant, la perception de la crise est loin d’être identique aux Etats-Unis et en Europe, notamment en France. « Contre quoi manifestent vos compatriotes ? » me suis-je souvent entendu demander au cours des deux mois que je viens de passer outre-Atlantique. « Mais n’avez-vous pas un filet de sécurité sociale particulièrement protecteur ? » Paradoxalement, alors que les effets de la crise se font durement sentir aux Etats-Unis, le sentiment public reste beaucoup plus positif que dans la vieille Europe. L’« effet Obama » a constitué un formidable antidote à la dépression économique et sociale, et certains secteurs privilégiés par le plan de relance de la nouvelle administration ont même du mal à gérer les ressources budgétaires qui leur sont allouées. Plus fondamentalement, la remise en cause de l’économie de marché, la « refondation du capitalisme » ne sont pas à l’ordre du jour. Il s’agit au contraire de faire redémarrer la machine économique le plus rapidement possible, ce qui explique la priorité donnée au plan de relance sur la réforme réglementaire, voire sur le nettoyage du bilan des banques, et de le faire vite et fort, en y mettant le paquet. Il semblerait que cette stratégie commence à payer.
Certes, l’emploi des grands moyens n’a pas exclu la mise sous tutelle fédérale de maints établissements financiers, voire de quasi-nationalisations, ou même le congédiement « à la française » du PDG de General Motors. Mais à dysfonctionnements majeurs du marché, intervention massive de l’Etat pour les juguler et rétablir un fonctionnement normal le plus rapidement possible. Nulle ambiance de grand soir, donc, au cours des cent premiers jours de l’administration Obama.
Les Européens ont donc eu raison de lancer le chantier réglementaire sans attendre la reprise car, même au plus fort de la crise, le contenu de celui-la fait débat aux Etats-Unis. Au-delà de la confiance instinctive en la liberté d’entreprise comme remède essentiel à la récession, il est clair que la surréaction réglementaire résultée du scandale Enron au début des années 2000 a laissé des traces : la fameuse législation Sarbanes-Oxley a en effet gravement affecté l’attractivité des marchés financiers américains et leur compétitivité face aux nouvelles places asiatiques et européennes. La réforme réglementaire à venir visera donc à corriger les excès passés, et au mieux à en prévenir de nouveaux, mais en évitant de nuire à la croissance et à l’emploi, ainsi qu’à la compétitivité internationale des Etats-Unis. Elle concernera également des sujets spécifiquement américains.
Quelle que soit la pérennité de l’embellie actuelle, comme le prévoit le FMI et comme à l’accoutumée, l’Amérique sortira de la crise avant l’Europe, et en profitera au passage pour rattraper son retard (ou reprendre de l’avance) dans les domaines d’avenir : éducation, système de santé, énergie et environnement, infrastructures, économie numérique…
Plutôt que de déplorer l’apparent aveuglement américain à l’égard des méfaits du capitalisme, les Européens feraient mieux de s’interroger sur leur propre incapacité, tout aussi grande et sans doute plus grave, à tirer les leçons de la crise du point de vue de la construction européenne. Est-il raisonnable qu’un choc d’une telle ampleur n’ait aucun impact sur les moyens et les procédures de gestion de crise au niveau de l’Union, ou sur le rôle et les pouvoirs de la Commission ? Que les élections européennes à venir restent dominées par une cuisine politique nationale sans commune mesure avec les enjeux ? La crise ne profitera-t-elle en Europe qu’aux extrémismes et au populisme ? Premier verdict, hélas prévisible, le mois prochain…
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